La Souris bloquée Jean-Jacques Porchat (1800 - 1864)

Une Souris de campagne
Choisit pour cantonnement
Un vaste champ de froment.
C’était pays de Cocagne.

Dans son trou dès le matin
Par la faim sollicitée,
D'un riant espoir flattée,
Elle courait au butin ;

Du lendemain n’avait cure ;
Faisant ses quatre repas,
Puis courant à ses ébats :
Bref, toute aux lois d’Epicure.

Dans le fond de son réduit
Jamais de graine amassée ;
Un peu de paille entassée,
Voilà tout ; c’était son lit.

Devers son manoir tranquille
Un maudit Chat vint rôder.
Elle, habile à s’évader,
D'un saut gagna son asile.

« Soit ! nous reviendrons demain,
Dit-il, faisant la grimace. »
Puis, observant bien la place,
Il poursuivit son chemin.

Le matois dès l’aube arrive ;
Mais il a beau se blottir,
La Souris, près de sortir,
L’aperçoit, rentre et s’esquive.

« Oh! dit-il, un peu confus,
Celle-ci me fait la nique !
Nous l'aurons, et je m’en pique.
Changeons le siège en blocus. »

Aussitôt devant la porte
Vint se camper le matou,
Les yeux fixés sur le trou.
Qu’elle paraisse, elle est morte.

« Il faudra faire une fin,
Dit-il, petite rebelle.
Choisissez, Mademoiselle,
De ma gueule ou de la faim. »

L’autre, de terreur glacée,
Et tremblante au fond du nid,
De jeûner bientôt lassée,
En pleurant mangea son lit.

Vain secours; faible ressource.
Ah ! que n’a-t-elle amassé
Tant de froment, dispersé
Sans profit dans mainte course !

Dans son gite elle pourrait
Du Chat braver la menace,
Tant qu’enfin de cette place
L’appétit le chasserait.

Cependant l’âpre famine
Ronge, affaiblit la Souris.
« Pour échapper du logis,
Ouvrons, dit-elle, une mine. »

Mais vit-on jamais quelqu’un
Travailler sans nourriture ?
Hélas! la terre est si dure
Quand !’estomac est à jeun !

Elle cesse, elle succombe,
Et dit : « Je n’ai plus d’espoir.
C’en est fait, et dès ce soir
Ma maison sera ma tombe.

Ah ! plutôt sortons d'ici.
Puisqu’il faut que je périsse,
Pour abréger mon supplice,
Rendons-nous à l’ennemi. »

Vers lui la pauvrette avance,
De l'œil encor l'implorant :
Le Chat sur elle s’élance,
Et la croque en murmurant,

Du sage l’on compte en somme
Mille définitions :
Moi, j'appelle sage, un homme
Qui fait des provisions.

Livre IV, fable 2




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