Les deux Charrues Jean-Jacques Porchat (1800 - 1864)

Que mon sort est cruel, et que le vôtre est doux !
Disait à sa voisine une vieille Charrue.
A peine fait-il jour, que je vais loin de vous
Des champs sillonner l’étendue.
Là, pour leur supplice et le mien,
Quatre bœufs me trainent sans cesse.
Je marche en gémissant, et mords avec détresse
La terre dont je n’attends rien.
Vous, cependant, oisive au logis on vous laisse.
Ainsi que mon travail, vos loisirs sont sans fin.
Vous voyez sans angoisse approcher le matin.
On me foule en esclave : on vous soigne en princesse,
Voyez ! Je n’y tiens plus; tout mon corps est usé.
Encor quelques sillons, mon fer sera brisé. —
Pouvez-vous, dit l’autre Charrue,
De mon sort vanter la douceur ?
Bien mieux que le travail l'oisiveté nous tue.
Je souffre plus que vous, ma sœur.
Je ne puis vous voir sans envie
Aller aux champs dès le matin.
L’ennui ronge en ce lien ma vie.
Est-il un poison plus certain ?
Mes membres vermoulus ne sont plus que poussière.
Mon soc de rouille est dévoré ;
Le temps d’un coup prématuré
Me fera tomber la première.
Allez. Retournez au labour.
Du destin gardez de vous plaindre :
Vous n’avez qu’une chose à craindre,
C'est d’être oisive à votre tour. »

Livre IV, fable 3




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