Un Cheval, un Baudet, unis par le destin,
Servaient le meunier Jean Farine.
Côte à côte, dès le matin,
Montant, descendant la colline,
Ils grimpaient au village ou trottaient au moulin.
Plus rétif que son camarade,
Le Cheval par mainte ruade
Ripostait aux coups de bâton.
L’Âne enfin d’un ton bénévole
Lui dit : « Ta résistance est folle.
Se cabrer ! eh ! pourquoi ? S’emporter ! À quoi bon ?
Frère, un peu de philosophie.
C'est le vrai charme de la vie,
Le soutien des infortunés.
Quand ce lourdaud me frappe à me rompre !’échine,
Que du fouet rigoureux mes flancs sont sillonnés,
M’en voit-on plus ému qu’une simple machine ?
Dirait-on que c’est moi sur qui pleuvent les coups ?
Du sort et du meunier je brave le courroux.
Mon frère, imite-moi. Prends tout en patience.
D’une indigne faiblesse il faut être vainqueur. —
Oui, je vais, si je puis, égaler ta constance,
Dit le Cheval d’un ton moqueur.
Mais si de coups sur toi tu vois fondre un orage,
Sans succomber à la douleur,
L’épaisseur de ton cuir fait bien plus, je gage,
Que ta fermeté de ton cœur.
Souffrir sans murmurer, c’est bien ; mais, somme toute,
Ce noble effort dont vous parlez si haut,
Apprenez-moi ce qu’il vous conte,
Et je vous dirai ce qu'il vaut.