Le Cheval et l'Âne Antoine Vitallis (1749 - 1830)

Un cheval, bon enfant, tel qu’aux champs on en voit, Avec un âne, un jour, allait de compagnie, Je ne sais où ; vers la prairie, Au moulin, au marché, peu m’importe l’endroit. Le premier, à son ordinaire, Suivait le milieu du chemin, Et l’autre sur le bord, allait son petit train, En un sentier, qui n’était guère Plus large, que la main. Là-bas était un précipice, Capable d’effrayer tout autre qu’un baudet : Ami, dit-il, au cheval qui trottait, Quittez ces pavés où l’on glisse ; Le sentier que je suis bien mieux vous conviendra ; On n’y rencontre pas d’ornière ; On n’y voit pas la moindre pierre ; Et le feuillage que voilà De son ombre vous atteindra. Ces raisons au cheval paraissant assez bonnes, À la suite de l’âne il alla se ranger. Les chevaux sont de ces personnes Qui se laissent conduire, et qu’on peut arranger Comme l’on veut : le notre aperçut le danger ; Le Sentier, à peine, à sa vue Offrait la place de ses pieds, Et de son corps l’une des deux moitiés Sur l’abîme était suspendue. Que faire ? devait-il regagner le chemin ? Certes ! s’il eut montré sa crainte, Quelle honte aux yeux d’un roussin ! L’amour propre donc le retint ; Ni de reproche, ni de plainte, Pas un seul mot : il suivait, lorsqu’enfin Des deux pieds, contre une racine, Venant à chopper à la fois, L’achoppement fit pencher la machine, Et le côté de la ravine • Entraîna l’autre par son poids. La chute fut un peu trop rude Pour le pauvre cheval ; il y trouva la mort. L’âne lui donna tout le tort, Et sans aucune inquiétude, Toujours, du grand chemin, suivant le petit bord, si en conserva l’habitude Que tous ses pareils ont encor. Cette fable peut nous apprendre Que l’exemple d’un sot ne doit nous engager ; Un sot ne voit pas le danger, C’est pour cela qu’il peut tout entreprendre. N’espérons pas, non plus, le corriger. L’exemple, selon qu’on le donne, À des effets bien différens ; Bon, il profite à peu de gens, Mauvais, c’est un poison qui n’épargne personne. Ah ! par quelle fatalité Le bien est-il si lent, le mal va-t-il si vite ? Pourquoi le sot est-il tant imité, Et si peu l’homme de mérite ? Ainsi l’ont arrangé les dieux, Et contre leurs décrets c’est en vain qu’on murmure ; Le mal seul est contagieux ; C’est la marche de la nature. Il suffit qu’un grain soit gâté, Pour voir pourrir une grenade ; Il ne faut qu’un mouton malade Pour qu’un troupeau soit infecté.





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