Le Cheval et l'Âne Fleury Donzel (1778 - 1852)

J'ai toujours aimé l'Ane ; il est si bonne bête !
Quand je n'aurais égard qu'à son utilité,
Sa patience et sa sobriété,
J'oublierais aisément l'air de stupidité
Que l'esclavage seul lui prête :
Mais il fit preuve un jour d'une autre qualité :
Il sut pardonner une offense
Dont il pouvait tirer vengeance.
C'est un grand mérite à mes yeux.
Voici ce que j'en sais : je dirai de mon mieux.
Un jour cette humble créature,
Au bord d'un grand chemin, broutait à l'aventure
Quelques chardons: c'est là son avoine et son foin ;
Quand un Cheval lui dit de loin :
Retire-toi, chétive bête.
En mon impétueux essor,
Faudra-t-il qu'un âne m'arrête ?
De ce large chemin, je ne tiens que le bord,
Dit l'âne : Dom Coursier, daignez voir, je vous prie,
Qu'aucun obstacle n'interrompt
L'élan de votre seigneurie,
On pourrait passer dix de front.
— Tu me gênes, répond cet animal superbe. —
Alors, d'une ruade, il vous étend sur l'herbe
Le pauvre Aliboron ; et, prompt comme l'éclair,
Reprenant son essor, part, fuit, vole, fend l'air.
On trouve tôt ou tard la peine de son crime.
Le Cheval ne l'attendit pas.
Il rencontre un fossé, large et profond abîme
Qui lui semble peu fait pour arrêter ses pas.
Il veut franchir l'obstacle insurmontable :
Il s'élance ; un écart arrête son effort ;
Il tombe fracassé, bien digne de son sort.
En revenant à son étable,
L'Ane passa près du gisant :
L'achever eût été l'affaire d'un instant ;
Mais le grison ne fit paraître
Ni haine, ni ressentiment,
Et même alla—t—il promptement
Du cheval avertir le maître.

Livre I, fable 4




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