Un Cheval, qui jadis fut un fringant coursier,
Qui, sous un brillant cavalier,
Du courage et de la vitesse
Vingt fois remporta le laurier,
Sous le fouet d'un manant grossier,
Était réduit par la vieillesse
A porter des fardeaux de fange et de fumier.
Dans ce fâcheux état, d'une illustre naissance,
De sa gloire, de ses exploits
Il garde avec fierté la noble souvenance.
Tout mal ferré qu'il est, son pied marche en cadence :
Sa tête est sans panache, et cependant par fois
Il la relève et la balance
Comme font les chevaux des rois.
Près de lui cheminait, oreille et tête basse,
Un modeste Baudet, ainsi que lui chargé,
Bronchant, sur le pavé traînant sa corne lasse.
Quand La Fontaine a peint l'Ane qui se prélasse,
Atout autre Baudet croyez qu'il a songé :
Celui-ci n'avait pas le moindre préjugé,
Sur la gloire ni sur sa race.
Compagnon de malheur, disait-il au Cheval,
Tu fais rire les gens par tes airs pleins de faste.
Orgueil et fumier, quel contraste !
Cet orgueil redouble ton mal.
Trêve à tes souvenirs ; imite ma démarche :
Elle est humble ; il convient de la régler ainsi
Quand on fait le métier que nous faisons ici.
Tu descends de bien haut ? Fût-ce d'un patriarche,
Quand tes premiers aïeux seraient entrés dans l'arche,
Je te dirais encor : laisse là le passé,
Et de ton sort présent tu seras moins blessé.
Le Cheval répondit : C'est ici mon allure :
Je suis toujours le même au comble du malheur :
Mafortune en changeantn'a pointchangé mon cœur :
On ne refait point la nature.
Mais toi qu'elle a fait Ane, aurais-tu pour parure
Gourmette et mors d'argent, housse de pourpre et d'or,
Tu ferais la même figure ;
Et tu serais un Âne encor.
Qui des deux eut raison ? des deux quel fut le sage ?
Quand le Baudet parlait, j'approuvais son langage :
C'est lui qui maintenant me paraît avoir tort ;
Et je donne tout l'avantage
À la fierté compagne du courage,
Dans une victime du Sort.