Dans un Lac aux eaux limpides,
À la surface d'argent,
Un Poisson, devenu grand,
En trouvait les bords arides,
Les ondes sans mouvement
Et les plaisirs insipides.
Ases compagnons timides
Il disait journellement :
Notre Lac est un couvent !
A ses nageoires avides
Il fallait apparemment
Toutes les plaines humides,
Tout le liquide élément.
D'un Fleuve l'onde agitée
Sortant de ce Lac si doux,
Commençait sur des cailloux
Sa course précipitée.
C'est bien là ce qu'il me faut,
Dit le Poisson ; et d'un saut
Le voilà de l'eau dormante
Élancé dans l'eau courante.
D'abord, tout lui paraît beau.
Que ces rives sont charmantes,
Sinueuses, verdoyantes !
Qu'elle court vite cette eau !
Je n'ai qu'à jouir, à boire :
Sans un seul coup de nageoire
J'y vais droit comme un bateau.
Bref, tout lui plaît, tout le charme :
Son esprit est sans alarme
Ni doute sur l'avenir ;
Et dans le bruit de cette onde,
Le Lac et sa paix profonde
Sont loin de son souvenir.
Mais tout à coup, ô surprise !
Le Fleuve, après cent détours,
Interrompu dans son cours,
Entre des rochers se brise ;
Et dans des gouffres sans fonds
Tombant à flots vagabonds,
De gouffre en gouffre résonne,
Mugit, écume, bouillonne.
Le Poisson, tout interdit,
Que ce fracas avertit,
Voudrait pouvair en arrière
Retourner, de la rivière
Voudrait remonter le lit ;
Mais trop tard : un flot l'emporte,
Un tourbillon l'étourdit :
Où la cascade est plus forte,
Où les rocs sont plus aigus,
C'est là qu'il tombe : il n'est plus.
De vos foyers pacifiques,
Vous qu'on voit à tout moment
Vous jeter étourdiment
Dans les tempêtes publiques,
Dans les torrents politiques,
Nous savons qu'assez souvent
Il vous en arrive autant.