Deux étangs, entoures de verdoyantes rives,
S'alimentaient des eaux de plusieurs sources vives.
L'un d'eux plus, élevé d'abord les recevait,
Puis, par une étroite ouverture.
Avec une sage mesure,
Sur sou voisin les déversait.
Lu coulaient d'heureux jours la frétillante anguille,
La grenouille aux rauques accents,
Le gardon qui clans l'air sautille,
Et la carpe dorée aux saccadés élans.
Hélas ! pourquoi faut-il qu'ici-bas l'on désire
Le sort que le destin ne nous départit pas !
Or, certain jour en proie à ce fatal délire,
Le peuple coassant de l'étang le plus bas,
Contre l'étang qui le domine,
A grands cris clabaude, fulmine.
— Hé quoi, disait le plus criard
Des fougueux orateurs de la foule insurgée,
Souffrirons-nous que l'eau soit ainsi partagée ?
N'aurons-nous donc pour notre part,
Pour toute fortune, que celle
Qui par ce petit trou comme à regret ruisselle,
Tandis que chez nos sœurs, là-haut, de frais ruisseaux
Conduiront d'abondantes eaux ?
Détruisons cet abus et formons une ligue
Afin de renverser cette exécrable digue
Qui s'oppose à notre bonheur.
Contre ce projet destructeur
Tous les poissons se récrièrent ;
Mais, comme font nombre de gens,
Au lieu d'agir ils se bornèrent
A se plaindre, à pousser de longs gémissements.
Profitant de cette apathie,
Nos grenouilles de comploter
Et d'aller bien vite exploiter
L'inconcevable sympathie
De plusieurs taupes d'alentour.
— Sœurs, vous voyez, leur dirent-elles,
Cette digue, l'objet de nos justes querelles,
Si nous ne la perçons très promptement à jour,
Nous allons succomber sous les ardeurs cruelles
Du soleil qui bientôt va dessécher nos prés.
Celles-ci, n'y voyant pas plus loin que leur nez,
Avec empressement se mettent à l'ouvrage,
Sans le moindre retard vingt endroits sont percés.
En longs jets l'eau d'abord s'ouvre un étroit passage,
Puis, grondant tout-à-coup, s'échappe à gros bouillons,
Rompt les digues et jette expirant sur le sable
Grenouilles, taupes et poissons.
Electeurs, qu'on séduit par mille illusions,
Gent plus aveugle que coupable,
Gardez-vous d'être un jour les taupes de ma Fable.