Le Soleil et les Grenouilles

Jean Commire (1625 - 1702)


Les Grenouilles d’un marécage,
Vils insectes, formes de boue et de limon,
Qui ne sont ni chair ni poisson,
Donnaient de la terreur à tout le voisinage,
Et de leur humide séjour
Faisaient trembler les bœufs qui paissaient alentour.
On a vu ces méchantes bêtes
Jusques dans l’Océan, étendre leurs conquêtes :
Car ainsi le destin bizarre en ses projets,
Prend plaisir d’élever les moins dignes sujets.
Dans leur prospérité se croyant indomptables,
Leur orgueil les rendit, par tout insupportables,
Et cet orgueil suivi des crimes les plus noirs,
Leur a fait violer les plus justes devoirs.
Le Soleil, qui le pourra croire ?
Luy qui fut leur appuy, qui fit toute leur gloire,
S’en est vu sans raison ai,
Et cent fois lâchement trahi.
Son éclat leur a fait ombrage,
Elles n’ont pu le voir sans rage
Par tout l’univers révéré,
Et de cent peuples adoré.
Les perfides par tout cherchent à lui déplaire,
Et ne pouvant enfin se taire
Elles vont décrier en cent climats divers
La conduite qu’il tient à régir l’univers.
Soit qu’il tourne, son char vers l’Inde ou vers l’Ibère,
Soit que jusqu’au lion il porte sa lumière,
Soit qu’a son aspect le croissant
Devienne pâle et languissant :
Sans cesse l’ingrate canaille
A l’ennui contre lui se déchaine et criaille ;
Elle se plaint qu’il gâte tout,
Et poussant la folie à bout
Elle s’emporte, elle menace,
Elle prétend qu’il soit toujours en même place
Sur peine d’encourir son indignation :
O l’insolente nation !
Mais cette menace si fière
N’ayant pu l’empêcher de fournir sa carrière
Ces insectes malicieux
Tâchent de dérober sa lumière à nos yeux,
Et remuant des pieds leurs sales marécages,
Excitent des vapeurs qui forment des nuages
Et fins ces nuages obscurs
Nous cachent du Soleil les rayons les plus purs,
Ah ! trop audacieuse bêtes
Vous avez, formé des tempêtes,
Dit le père du jour en son juste courroux,
Qui s’en vont retomber sur vous.
Puis ramassant ses feux épars sur l’hémisphère,
Il allume, il durcit cette vapeur légère,
Il en fait des éclairs, il en fait des carreaux,
Dont il va les frapper jusqu’au fons de leurs eaux.
Au milieu du limon, étonnée, immobile,
L’ingrate troupe en vain croit trouver un asile
Le Soleil brûle tout et l’ardeur de ses traits
Pénètre le limon et sèche le marais,
Ainsi les perfides périssent,
Ainsi tous leurs projets en l’air s'évanouissent,
Et leurs corps étendus au milieu des roseaux
Servent de nourriture et de proie aux oiseaux.
Mais l’on dit qu’en mourant une des moins coupables
Dit ces paroles mémorables.
N’accusons point le sort, mes sœurs, c’est justement
Que le Soleil nous fait souffrir ce châtiment,
Justement sa vengeance éclate,
Contre une république ingrate.
Et vous ! dit- elle, nos neveux
Apprenez le respect que vous devez, aux Dieux.





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