Le Lion qui venge son père

Jean Commire (1625 - 1702)


Un Lion, la terreur de l’Africain rivage,
Après avoir enfin soumis
Les plus fiers de ses ennemis,
Ennuyé de tant de carnage,
Leur accorda la paix et s’acquit justement
Le titre de Vainqueur clément,
Par une conduite si sage.
Le calme était partout : les timides troupeaux,
Sans plus craindre des loups la sanglante furie,
Paissaient sur le bord des ruisseaux,
Et bondissaient dans la prairie ;
Un doux repos régnait parmi les animaux.
Heureux s’ils avaient su jouir de sa clémence :
Mais leur téméraire imprudence
Bientôt les replongea dans des malheurs nouveaux,
Le Lion doux, paisible, affable,
Ne leur parait plus redoutable,
Et sa généreuse douceur
Passe pour un défaut ou de force ou de cœur.
A ces préventions ils se laissent conduire,
Et s’imaginent follement,
Parce qu’il ne nuit plus, qu’il ne saurait plus nuire.
Ils peuvent, disent-ils, venger impunément
Sur ce faible ennemi leur honteuse défaite.
On cabale, on se ligue, on cherche le moment
D’aller insulter sa retraite.
De torts leurs vains projets le Lion averti,
En secouant son crin d’un air fier et sévère :
Osez-vous hasarder le dangereux parti
De troubler mon repos, d’irriter ma colère ?
Téméraires, dit-il, vous apprendrez trop tard
Quel est le funeste hasard
Où votre aveuglement aujourd'hui vous expose.
Aussi-tost l’Intrépide au combat se dispose.
Un jeune Lionceau plein d’audace et de cœur,
Luy dit : Il suffira, Seigneur,
Pour punir ces mutins, d’employer mon courage.
Je vais vous venger aujourd’hui.
Vous-même punir leur malice,
Et contre de pareils rivaux,
Rentrer encore dans la lice,
C’est trop flatter l’orgueil de ces vains animaux.
Par un moindre ennemi leurs troupes combattues,
N’éprouveront pas moins votre juste courroux :
Elles auront l’affront, Seigneur, d’être abattues.
Et n’auront pas l’honneur de l’être par vos coups.
Le Lion reconnait son sang et sa vaillance
Dans ce Lionceau belliqueux ;
Se décharge sur lui du soin de la vengeance.
Le jeune Combattant au comble de ses vœux,
D’abord sur l’Ennemi, comme un foudre, s’élance,
Et d’un Père attentif à ses premiers combats,
Imite la valeur et passe l'espérance :
Le danger et la mort ne l’intimident pas.
Cent fois contre des loups et des bêtes vulgaires,
Il fit en se jouant éclater un beau feu.
Vaincre les Ours et les Panthères
Ce n’est encore pour lui qu’un jeu.
Sanglier, Léopard, Hyène,
Et l’Eléphant et le Griffon,
Tous sont renversez sur l’arène,
Tous dans le Lionceau retrouvent le Lion.
Il attache sur l’un des griffes meurtrières,
Dans le sang d’un second ses dents vont se rougir,
Et pour glacer d’effroi les bêtes les plus fières,
De loin même il n’a qu’à rugir,
Que sert d’être couvert par de vastes rivières,
Et par d’impénétrables forts ?
Il traverse les eaux, il perce les tanières,
Et rien n'échappe à ses efforts.
Enfin quoi qu’il ose entreprendre,
Sa valeur le sait achever,
Les plus forts contre lui ne peuvent se défendre,
Ni les plus lâches se sauver.
Alors un Oiseau de présage,
Admirant ce jeune courage :
Allez, s’écria-t-il, encore cabaler,
Troupe inquiète et téméraire,
D’un terrible Ennemi vous pensiez vous défaire,
En voilà deux à qui parler.
Un Héros jeune et redoutable
Explique le sens de la Fable
Par ces prodiges inouïs,
Qui font au bord du Rhin voir un autre Louis.





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