Sur un vaisseau chargé de précieux lingots,
Des chercheurs d'or, après deux ou trois ans d'absence,
Des bords californiens s'en retournaient en France,
Les uns très satisfaits, les autres fort penauds.
D'un pénible travail, d'une incessante peine
Les premiers rapportaient les enviés produits.
Les seconds qui, suivant certains us de Paris,
A boire avaient passé trois jours de la semaine,
Revenaient à peu près comme ils étaient partis.
En proie à l'affreuse misère,
Jamais le débauché n'a reconnu son tort.;
Du destin, à l'entendre, un caprice arbitraire
Seul causa son malheureux sort.
S'en prenant donc à la fortune,
Nos mange-tout contre elle effrontément criaient
Et très hautement prétendaient
Qu'on devait composer une masse commune
De l'or par chacun rapporté,
Puis en faire entre tous, avec égalité,
Un juste et fraternel partage.
— Il fallait comme nous avoir cœur à l'ouvrage,
Répondaient les actifs et sobres travailleurs,
Gomme nous vous auriez la douce jouissance
D'apporter au logis le fruit de vos labeurs ;
Mais vous avez mangé votre bien à l'avance,
Sachez-donc maintenant de vos folles erreurs.
Subir ou réparer la triste conséquence.
Certain jour sur ceux-ci nos misérables gueux,
Au signal convenu, se jettent furieux.
Ainsi que leurs aînés, d'exécrable mémoire,
Dont Nantes gardera longtemps l'affreuse histoire,
Ils précipitent dans les flots
Et chefs et passagers, pilote et matelots.
Devenus maîtres du navire,
Tous veulent à la fois le guider, le conduire :
L'un vers le gouvernail est à peine monté
Qu'il se voit par un autre aussitôt culbuté.
Tandis qu'ainsi l'on se dispute,
Que fraternellement à coups de poing on lutte.
Le vaisseau vole au gré d'un vent impétueux,
Heurte un roc qui pénètre en ses flancs caverneux,
S'enfonce et disparait dans le gouffre qui s'ouvre
Et qui tout-à-coup le recouvre
De ses tourbillonnants replis.
Ô France, ô mon pauvre pays.
Toi que veut gouverner une horde sauvage,
Te préserve le ciel d'un semblable naufrage !