Acrise fut un Roi célèbre dans l'histoire
L'Histoire... ai-je bien dit ? non pas, mon conte bleu
Se trouve dans la fable. Eh ! qu'importe, morbleu ;
Dissimulons ce point ; il faut, en faire accroire.
Acrise donc tenait le sceptre dans Argos ;
Son peuple était heureux. Sous ce prince admirable,
Du matin jusqu'au soir un bourgeois tenait table,
Buvait, riait, chantait, ne payait pas d'impôts.
C'était là le bon tems. Nul ne faisait la guerre
Sous ce prince charmant, sinon à coups de verre.
Las ! lui-même un beau jour vint troubler son repos.
Il était dans la fleur de ses belles années :
Les dieux semblaient sur lui verser à pleines mains
Mille prospérités l'une à l'autre enchainées.
Hélas ! pourquoi faut-il que les faibles humains,
Laissant les biens réels que leur fait la fortune,
Mécontents d'un bonheur dont ils peuvent jouir,
Osent imprudemment, d'une main importune,
Soulever le rideau qui cache l'avenir ?
Acrise malheureux, gémit, il fond en larmes,
Par de noires frayeurs son cœur est tourmenté ;
Les plaisirs les plus vifs pour lui n'ont plus de charme*
Depuis le jour fatal où, par lui consulté,
Un oracle divin, d'une façon précise
Fit entendre ces mots : « O Malheureux Acrise,
» Un jour ton petit-fils doit porter dans ton flanc
» Un poignard homicide, et répandre ton sang ».
Le monarque d'Argos n'avait lors qu'une fille,
Un tendron de quinze ans, l'espoir de sa famille ;
La belle Danaé, dont les appas naissants
Sollicitaient déjà les regards des amans.
Je connais le danger de devenir grand-père,
Dit le Roi, n'allons pas agir à la légère :
Ma fille, je le sais, se pique de fierté
Fait parade aujourd'hui d'insensibilité;
Le seul nom de l'hymen l'effarouche et la blesse»
C'est fort bien ; mais pourtant le dieu de la tendresse
Pourrait faire si bien, qu'un jour, sans mon avis,
On me fabriquerait ce fatal petit-fils.
Il faut.... Mais quel combat pour ce malheureux père,
Il presse sur son sein cette fille si chère.
Perdra-t-il un enfant si tendrement aimé ?
Pourra-t-il d'une main et barbare et traîtresse
A son ambition immolant la princesse,
Se priver d'un objet dont son cœur est charmé ?
Non, jamais.... Mais il voit un parricide armé,
Enfonçant dans son sein un fer avec furie,
Lui ravir à-la-fois et le sceptre et la vie.
Que faire ? que résoudre ? On mande le Sénat,
On expose l'affaire. Un conseiller d'état,
(Ces Messieurs ont toujours quelque bon stratagème),
Pour sauver le Monarque et sa fille elle-même,
Propose au Roi craintif de jeter sans façon
Sa tendre géniture au fond d'une prison.
« Ainsi malgré l'arrêt des chênes de Dodone,
En dépit de l'oracle et du fils de Latone,
Sire, je garantis que Votre Majesté
Pourra, par ce moyen, dormir en sûreté »
Ce charitable avis fut approuvé d'Acrise.
Bientôt on l'exécute ; et le papa bénin
Vous met soi ! cher enfant à l'abri de surprise,
Sous de triples verrous, dans une tour d'airain.
One ne se vit, dit-on, de prison aussi forte,
Elle est impénétrable à la clarté du jour,
Des dogues, des soldats en défendent la porte ;
Le silence et l'horreur règnent dans ce séjour.
Le papa s'applaudit et redevient tranquille,
Croyant sa Danaé dans cet obscur asile,
En état de braver les ruses de l'Amour.
Mais Jupiter épris de la jeune mortelle,
Ne voit pas sans dépit, enfermer sa donzelle.
Il en sent redoubler son amoureux tourment.
Souffrirai-je, dit-il, que cette citadelle,
A l'objet de mes vœux, serve de monument ?
Je saurai bien trouver quelque ruse nouvelle
Qui me fasse percer ce sombre appartement.
Volons sans plus tarder où l'amour nous appelle.
Il dit... En or fluide aussitôt transformé,
Le monarque des dieux roule au sein d'une nu«
Qui se trouve d'aplomb à l'instant suspendue
Sur le haut' du donjon où gît l'objet aimé.
Tandis que :1e soldat se morfond dans la rue, '
Jupiter goutte à goutte en arrose le toit,
Se coule, fait si bien qu'il trouve en maint endroit
Maint pertuis entrouverts, mainte sombre avenue.
Le liquide métal se glisse, s'insinue,
Transsude de partout, et, dans le fort d'airain,
Sait si bien h propos se frayer un chemin,
Qu'en forme de rosée il pénètre, il arrive
En flocons jaunissants sur la jeune captive.
L'éclat inattendu de ce métal charmant,
A Danaé, dit-on, était loin de déplaire.
Ah ! combien d'ennemis en ce fatal moment
'Attaquent à-la-fois celte beauté sévère.
Notez d'abord l'ennui d'un affreux traitement,
Ensuite les horreurs d'un cachot solitaire,
Son célibat forcé, les soupçons de son père,
Tout lui parle en faveur de son heureux amant.
De Danaé bientôt la fierté s'humanise,
Grâce à l'or, grâce aux fers où la retient Acrise ;
Le métal amoureux subjugue sa vertu,
Jupiter est heureux sans avoir combattu.
Or sus moralisons. Que prouve cette fable ?
C'est d'abord que la gêne et la captivité
Ne forment pas toujours un moyen immanquable
D'assurer la vertu d'une jeune beauté.
Et puis que l'or peut tout. Un céladon soupire,
On est sourd au récit de son triste martyre ;
Mais quand un financier fait sonner des ducats,
L'honneur. ma foi, l'honneur peut bien sauter le pas.