Un généreux coursier, un timide mouton
Et le paisible Aliboron
Ensemble voyageaient. Dire quelle raison
Les forçait à marcher ainsi de compagnie,
Je ne le puis ; et, d'ailleurs, à quoi bon
S'en occuper ? Une riche prairie
Se rencontre sur leur chemin.
Nos animaux étaient tourmentés par la faim,
De plus, las et recrus : cette herbe savoureuse
Leur offrait à la fois une couche moelleuse
Et puis un repas succulent.
Par malheur, un grossier manant
Armé d'un lourd bâton, gardait l'unique entrée
Qui conduisait dans cet endroit charmant.
Son bras robuste et sa mine assurée
Au craintif animal dont la molle douceur
Depuis longtemps est passée en proverbe,
Comme on le pense bien, inspiraient la terreur :
Au plus vite il s'enfuit. Quant au coursier superbe,
Il frémit au penser ignoble, humiliant,
De se voir menacé d'un pareil traitement.
Lui, frappé d'un bâton ! Quelle horrible infamie !
Il valait mieux cent fois renoncer à la vie.
Mais de sa gloire peu jaloux,
L'âne avance sans crainte. En vain on l'injurie,
En vain on l'accable de coups :
Qu'importe ? Sa panse est remplie.
Que de gens, comme Aliboron,
De leur honneur ne tenant aucun compte,
Ont fait fortune en buvant toute honte
Et bravant les coups de bâton !