Le Cheval et l'Âne Théodore Lorin (19è siècle)

Un superbe cheval, qui jadis à l'armée
Conquit brillante renommée,
Couvert de pourpre et d'or, rencontre en son chemin
Un modeste baudet, que le sort inhumain
Avait traité d'une dure manière.
Son cou maigre, et pelé par maint fardeau pesant,
Offrait un contraste frappant
Avec la flottante crinière
De notre coursier élégant.
Un parvenu, boufsi de sa richesse,
Loin d'accueillir si piètre compagnon
Eût dédaigné le triste Aliboron.
Mais la véritable noblesse
N'affiche point une sotte fierté;
Elle sait, par la grâce et l'affabilité,
Du malheureux adoucir la misère.
Notre noble animal était plein de bonté :
« Viens, mon ami, dit-il au pauvre hère,
Te reposer chez moi. » Le timide baudet
Un instant hésita ; mais la faim le pressait :
De suivre le cheval il commet la folie.
Aussitôt arrivé, de barbares valets
Le chassent à coups de balais
De la fastueuse écurie.
Le pauvre diable, en jurant sur sa foi
De n'y plus revenir, des quatre pieds s'escrime,
Répétant à part lui cette sage maxime :
« Il ne faut pas hanter plus grand soi. »

Livre VI, Fable 18




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