Notre beauté est l'ouvrage de la nature ; nos vertus et notre science sont les résultats de nos efforts ; de quel côté se trouve donc le mérite de l'homme !
Un homme promenait en province, avec des chevaux de manège, un cerf d'une belle taille et orné d'un bois très élevé. Si peu d'animaux avaient sa beauté, peu d'autres aussi avaient son orgueil. L'empressement des curieux lui avait mis dans la tète que son corps élancé, ses jambes fines, son grand bois et sa tête portée avec fierté faisait de lui un animal de mérite. Un jour, après que le monde fut sorti du manège, il disait au cheval le plus instruit de la troupe j Pauvre bête ! tu viens de suer beau- coup pour courir en mesure, calculer tes sauts, faire mille tours dissiciles, et combiner tes mouvements de manière à faciliter à l'écuyer tout ce qu'il vient de faire ; et pour cela tu crois être curieux. Tu crois peut-être dans ta folie attirer toi-même cette foule. Détrompe-toi, pauvre cheval ; c'est moi que l'on veut voir, c'est mon mérite qui attire ici tout ce monde. — Ton mérite, lui dit le cheval ; et en quoi consiste-t-il ? Si tu es beau, c'est le mérite de ; la nature, qui t'a fait tel. Pour moi, si je suis habile cheval de manège, c'est un mérite qui m'appartient ; car je me suis fait ce que je suis. Peu de chevaux feraient ce que je fais ; le premier cerf venu a toutes les qualités qui te rendent si vain. »