Un jeune poulain, franc novice,
Disait un jour aux animaux :
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Quelqu'un de ses humbles vassaux.
C'est peu qu'à bien courir (si vous êtes chevaux)
Sa paresse, que Dieu maudisse !
Épargne ses souliers en usant vos sabots ;
Et qu'il gagne par l'exercice,
À la sueur de votre dos,
Un embonpoint qui vous maigrisse :
Si vous êtes mulets, c'est peu que de fardeaux
Vous accable son avarice ;
Et qu'aux heures du soir, pour hâter son repos,
Du coucher du soleil son fouet vous avertisse,
D'un ton à vous rompre les os :
Moutons ? ce sera peu qu'au retour du solstice,
Chaque année, il vous fauche avec de longs ciseaux,
Et que votre dépouille habille les fuseaux,
Pour que de fin louviers son luxe se vêtisse :
Poulets ? c'est même encor trop peu que pour son eroc
Sa gourmandise vous choisisse ;
Et vous rognant la crête avant qu'elle grandisse,
Vous borne, en vous ôtant le talent d'être coq,
Au plaisir d'engraisser pour un second service :
Il faut de plus (qu'il pèche ou qu'il se convertisse),
Satisfaire pour lui le prêtre ou le bourreau :
Son crime nous traîne au supplice,
Et son remords au sacrifice.
Qui croirait que la loi fit trancher en son lieu,
Le bec à son faucon¹ ? Le sang de sa génisse
Doit-il laver son âme ? Est-ce raison qu'il puisse
Avec la chair d'un bœuf graisser la patte à Dieu ?
Sabre d'or ! c'est abus d'effroyable injustice !
-Abus, dit un cheval, vieux tuteur du poulain ;
Mais contre l'injustice où trouver un refuge,
Si Dieu même, y donnant la main,
Pour les péchés du genre humain
Nous noya tous par un déluge ?
L'arrêt est dur ; mais l'homme est notre souverain,
Nous sommes ses sujets... Et voilà comme on juge ! »