La Jument et son Poulain Romain Nicolas du Houllay (début 19è)

Une jument, de son poulain suivie,
Allait chaque matin paître dans la prairie.
Son jeune bucéphale, ou derrière ou devant,
Tantôt près, tantôt loin, courant, caracolant,
Bondissait, agitait sa naissante crinière,
Faisait autour de lui voler force poussière,
De gais hennissements retentir les échos,
Et déjà semblait sur son dos,
Dans le sentier de la victoire,
Porter un Alexandre au temple de la gloire.
Dans le cœur maternel ses courses, ses ébats,
Les grâces, la vigueur qu'en ses jeux il déploie,
Tout enfin répandait une secrète joie,
Hors un point cependant qui ne lui plaisait pas.
- Il n'était dans la plaine
Ni ruisseau, ni fontaine,
Dont, soit caprice, ou sensuelle humeur,
Son palais, en passant, n'essayât la liqueur.
À la sobriété d'elle-même asservie
La jument observait un régime de vie,
Ne buvait qu'à son heure, et non pas de toute eau.
Bref ; si ce n'est l'été, faisant quelque voyage,
Elle n'avait jamais bu qu'au même ruisseau.
De loin elle voulait, en mère et tendre et sage,
Ases mœurs, à ses goûts former son nourrisson,
Sans cesse lui prêchant l'utile tempérance.
Un jour, las de l'entendre et plein d'impatience :
À quoi bon, lui dit-il, votre austère leçon ?
Trouver en son chemin source ou courant limpide,
Et de leur surface liquide
D'une lèvre effleurer le mobile Crystal,
Est-ce donc si grand mal ?
Je n'y vois tout au plus qu'un acte d'inconstance
Qui n'offre à redouter aucune conséquence.
En besoin, reprit-elle, il peut se convertir ;
Alors, à votre gré, pourrez-vous le remplir ?

Livre I, fable 8




Commentaires