Le Curé et sa Jument Etienne Catalan (1792 - 1868)

Il ne faut pas toujours dire ce que l'on pense :
Tel parla trop haut, qui, souvent,
Dut payer cher son imprudence.

Certain Curé, monté sur sa Jument,
S'en allait au marché par un beau jour d'automne.
Un figuier, l'orgueil de Pomone,
Sur sa route se présenta ;
Lors, bien qu'homme de Dieu, le Diable le tenta...
Ou, plutôt, pensait-il : Puisqu'on m'en doit la dime,
La récolter moi-même, est- ce moins légitime
Que de prétendre que ces gens
A l'apporter chez moi perdent un jour leur temps ?
Dîmons donc ; et, debout, le voilà sur sa selle :
Une, deux, trois ; et puis, il les prend sans compter...
C'était plaisir de voir le Saint s'y délecter ;
C'était plaisir de voir sa Jument Isabelle,
Aussi ferme qu'un roc, à ce jeu se prêter :
Pauvre bête ! vraiment, je crois que tu devines
Qu'au pied de l'arbre est un buisson d'épines,
Dont l'édredon serait un triste matelas ;
Et, jugez de mon embarras,
Si quelque malveillant allait lui crier : Haïe ! -
A ce mot, l'Animal s'élançant : patatras !...
Notre Pasteur, au milieu de la haie,
De se débattre et de crier
Comme ferait le Diable au fond d'un bénitier.
Isabelle au galop regagne l'écurie :
Grande rumeur alors dans la maison,
Et les gens du Pasteur de trembler pour sa vie ;
On part, on court, on cherche, on trouve le Patron,
Qui semblait, sur ce lit étendu de son long,
Vouloir des Réprouvés préjuger les tortures.
Enfin, ce ne fut point sans maintes meurtrissures,
Voire, surtout, sans force égratignures,
Qu'on le sortit de là, maudissant Lucifer,
Pour l'avoir tout vivant voulu mettre en Enfer.

Livre I, fable 9




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