Si l'on doit des humains croire les vains propos,
Quand Jupiter, débrouillant le chaos,
De l'ordre lui donna l'imposante figure
Et fit sortir du sein de la nature
Des êtres animés le monde merveilleux,
Son chef-d'œuvre fut l'homme :
Et voici comme
Prétend le prouver chacun d'eux.
N'a-t-il pas, disent-ils, la taille droite et haute,
Au corps le mieux moulé la force et la beauté ?
De tous ses mouvements voyez l'agilité ;
Cet œil au ciel fixé décèle bien un hôte
Etranger sur la terre et réclamé des dieux.
Le singe, dira-t-on, regarde aussi les cieux ;
Soit, mais de l'homme a-t-il l'esprit sublime,
Cet esprit pénétrant dont l'essor magnanime
Souvent de l'infini parcourt l'immensité
Et l'emporte au séjour de la divinité ?
Et là point de secret, point d'ombre, de mystère,
Que son audace enfin ne pénètre et n'éclaire.
Mais sous ce beau côté pourquoi tant le vanter ?
Aux œuvres de ses mains on pourrait s'arrêter ;
Et, sur tout ce qui l'environne,
Seules elles pourraient lui valoir comme roi
Le sceptre et la couronne.
Ainsi chacun prononce. Et moi,
Dussé-je être maudit, je soutiens le contraire.
Du maître du tonnerre
Il ose aborder le palais,
Et même vers le Dieu se frayer un accès.
Autant en fit jadis la race sacrilège
Qui, jalousant des dieux l'auguste privilège,
Pour les chasser du ciel, follement entassa
Pélion, le Caucase, Hémus, Taurus, Ossa ;
Et dont maint et maint coup de foudre,
En réduisant les uns en poudre,
Aux autres entr'ouvrit un immense cercueil
Sous tous ces monts qu'avait entassés leur orgueil.
Toujours comme la gent impie
Du destin sondant les décrets,-
L'homme voit d'un pareil succès
Son extravagance suivie.
Mais son hardi compas a mesuré les cieux ;
Dans les astres il voit, même il lit. Et qu'importe,
S'il n'en vaut mieux,
Qu'il ait une vue aussi forte ?
Quant à ces monuments divers
Dont sa vanité pense embellir l'univers,
Qu'offre leur grandeur colossale
Qui, sous aucun rapport, égale
Et l'art et la correction
Du nid que se bâtit le plus faible oisillon
Sans autre outil que son bec et ses pattes ?
De ta dextérité, fier mortel, tu te flattes
Et crois que l'on doit t'admirer !
Ose donc comparer
Tes œuvres aux merveilles
Qu'on voit aux états des abeilles ;
Passe chez la fourmi, va-t-en chez le castor :
Partout autour de toi que ton œil se promène,
Sur toi que la raison ensuite le ramène,
Et qu'alors ton orgueil, s'il peut, se flatte encor.
Mais on ne peut, dis-tu, te nier la souplesse,
La vigueur, la beauté, non plus que la vitesse,
Le tigre, ce féroce et terrible animal,
Et le serpent, ce dangereux reptile
Dont ton cœur porte, et ta langue distille
Le venin infernal,
Devant toi sont- ils donc, le premier moins rapide,
Moins vigoureux, moins intrépide,
Le second moins léger ? et tous deux en beauté
Te cèdent-ils la moindre chose ?
Et le lion, que ton arrogance ose
Devant lui de ton port vanter la majesté,
De sa taille la tienne a-t-elle l'élégance ?
As-tu son maintien noble et sa fière assurance ?
Son tranquille regard respire la grandeur ;
Il en est le symbole et celui de la force.
Auprès de lui qu'es - tu sous ton obscure écorce ?
Mais que sera-ce si je parle de son cœur ?
Je sais bien que l'espèce humaine
En sa perversité
Mainte et mainte fois a traité
Et même encor traite de fable vaine
Les traits divers de générosité
Qu'à sa bonté
Mainte histoire attribue.
Mais la vérité va percer enfin la nue.
Le fait est de nos jours. Dans Florence un lion,
Ayant un jour de sa prison
Forcé l'importune barrière,
Par la ville courut. Hérissant sa crinière,
Il faisait frémir l'air d'affreux rugissements ;
Sa queue avec force agitée
Résonnait autour de ses flancs.
Sa prunelle irritée
Et sa gueule béante annonçaient la fureur.
Il répandait partout l'épouvante et l'horreur.
Devant l'animal roi tout fuit, cherche un asile.
Jadis ainsi devant le redoutable Achille
En désordre fuyaient les bataillons troyens,
Ou bien devant Hector les soldats argiens.
Mais pendant que chacun par une prompte fuite
Evite du lion la vue ou la poursuite,
Une mere, ô douleur ! de son sein palpitant
À laissé, dans son trouble, échapper son enfant.
Le lion dans sa gueule et le prend et l'enlève.
A ses pieds elle tombe, et par de tristes cris,
Ou plutôt par un seul que la nature éleve
Le conjure à genoux de lui rendre son fils.
O prodige ! et merveille !
Ses cris dans l'air ne se sont point perdus ;
Ils ont été du lion entendus.
De son oreille
Ils sont venus retentir à son cœur.
Renonçant à sa proie
Aterre il met l'enfant, et fait à la douleur
Succéder à la fois la surprise et la joie
Dans le cœur maternel.
Qui que tu sois, mortel,
Qui lis ces vers ou bien cette prose rimée,
Contre ton ennemi ta fureur enflammée
Eteindrait-elle ainsi ses redoutables feux ?
De se souiller de sang son cœur sut se défendre.
Le sang de son tyran ! il pouvait le répandre.
Homme, quand seras-tu comme lui généreux ?