Le Singe et le Perroquet Romain Nicolas du Houllay (début 19è)

Dom singe un jour et sire perroquet
Chacun de son côté formèrent le projet
De se faire agréger parmi l'humaine engeance.
N'ai-je pas avec l'homme entière ressemblance,
Se disait le premier en lui-même, un front haut,
Le corps droit, pieds et mains, enfin tout ce qu'il faut,
Hormis peut-être un point, celui de la parole ?
Mais c'est un talent si frivole.
Le second se disait : que fais-je dans ces bois ?
Si j'ai de l'homme et l'organe et la voix,
N'est- ce donc pour parler qu'à des échos sauvages ?
Non, non ; avec tant d'avantages
On n'est point fait pour l'ombre des déserts.
Ainsi dit, des forêts abandonnant l'asile
Tous deux se rendent à la ville
Par des chemins divers.
C'était un jour de foire.
Arrivés sur la place, et, comme on peut bien croire,
D'aise tout palpitant, l'un et l'autre s'apprête
À faire l'homme, à le jouer au mieux.
Bertrand donc habillé, le chapeau sur la tête,
Une canne à la main, circulant en tous lieux
Va, vient, revient, se promène, salue ;
Ici sur un tableau, là sur une statue
Semble attacher un regard connaisseur ;
Aborde un cercle, y porte un air penseur ;
D'un mouvement de tête ou d'un léger sourire
Gesticule au hasard tantôt oui, tantôt non ;
Puis, pour se dérober à toute question,
Adroitement il se retire,
Non pas sans que maint sot l'admire,
Pour n'en avoir été nullement contredit.
De son côté l'oiseau s'acquiert aussi crédit ;
A tout venant il parle, ou plutôt il bavarde
Bref ; l'air ne retentit que de sa voix criarde
Et des cinquante mots dont son tendre cerveau
Sans cesse lui produit l'uniforme tableau.
Autour de lui grande foule s'assemble ;
Par-tout comme éloquence on vante son caquet :
Et le singe est tenu pour savant et discret.
Mais, dit quelqu'un, ceci n'est pas tout ce qu'il semble ;
Pour être homme il faut plus que de savoir parler,
Et ce n'est pas assez que de gesticuler.

Livre I, fable 10




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