Dom singe un jour et sire perroquet
Chacun de son côté formèrent le projet
De se faire agréger parmi l'humaine engeance.
N'ai-je pas avec l'homme entière ressemblance,
Se disait le premier en lui-même, un front haut,
Le corps droit, pieds et mains, enfin tout ce qu'il faut,
Hormis peut-être un point, celui de la parole ?
Mais c'est un talent si frivole.
Le second se disait : que fais-je dans ces bois ?
Si j'ai de l'homme et l'organe et la voix,
N'est- ce donc pour parler qu'à des échos sauvages ?
Non, non ; avec tant d'avantages
On n'est point fait pour l'ombre des déserts.
Ainsi dit, des forêts abandonnant l'asile
Tous deux se rendent à la ville
Par des chemins divers.
C'était un jour de foire.
Arrivés sur la place, et, comme on peut bien croire,
D'aise tout palpitant, l'un et l'autre s'apprête
À faire l'homme, à le jouer au mieux.
Bertrand donc habillé, le chapeau sur la tête,
Une canne à la main, circulant en tous lieux
Va, vient, revient, se promène, salue ;
Ici sur un tableau, là sur une statue
Semble attacher un regard connaisseur ;
Aborde un cercle, y porte un air penseur ;
D'un mouvement de tête ou d'un léger sourire
Gesticule au hasard tantôt oui, tantôt non ;
Puis, pour se dérober à toute question,
Adroitement il se retire,
Non pas sans que maint sot l'admire,
Pour n'en avoir été nullement contredit.
De son côté l'oiseau s'acquiert aussi crédit ;
A tout venant il parle, ou plutôt il bavarde
Bref ; l'air ne retentit que de sa voix criarde
Et des cinquante mots dont son tendre cerveau
Sans cesse lui produit l'uniforme tableau.
Autour de lui grande foule s'assemble ;
Par-tout comme éloquence on vante son caquet :
Et le singe est tenu pour savant et discret.
Mais, dit quelqu'un, ceci n'est pas tout ce qu'il semble ;
Pour être homme il faut plus que de savoir parler,
Et ce n'est pas assez que de gesticuler.