Dans le même logis vivaient de compagnie
Un Perroquet, un Singe, un Chat ;
Animaux malfaisants et d'esprit scélérat,
Qui menaient là, Dieu sait la vie !
Leur hôte nuit et jour veillait,
Fermait à double tour, tenait sa maison close.
Mais nos maîtres fripons, alertes, l'œil au guet,
Lui happaient toujours quelque chose.
Un jour, chez ses voisins notre homme étant allé,
Voilà qu'on lui grippe un fromage.
Il rentre, il veut savoir l'auteur de ce dommage.
Le Chat est d'abord appelé,
« Approche, lui dit-il, animal hypocrite,
Chat des chats le plus patelin,
Qui fait le douce t, le badin,
Le saint homme, la chattemite ;
Parle, bourreau ! tu m'as mon fromage volé ?
Il faut qu'on me le rende.
— Maître, répond le Chat, que sur l'heure on me pende,
Si j'ai pris aucun mets de la sorte appelé;
Jamais à ce plat je ne touche ;
Sait-on pas que je me nourris
De souris ?
Moi, manger de cela ? sentez plutôt ma bouche.
— Qui donc me l'a pris ? — C'est Bertrand.
Pendant que très dévotement,
En un coin, ce matin, je faisais ma prière,
Je l'ai vu qui passait et le fromage aussi.
Fi ! me suis-je écrié; ce n'est pas bien, mon frère ;
A Monsieur je dirai ceci. »
L'hôte fut aussitôt le Singe comparaître,
C'était un vieux routier, ayant barbe au menton ;
Connu pour insigne larron.
En tours de singerie il était passé maître,
Eh bien ! sire Bertrand, mon fromage est mangé,
Et c'est vous qui l'avez grugé.
- Moi, vous gruger, grands dieux ! qui vous fait ces nouvelles ?
Adressez-vous au Perroquet ;
Il vous en contera de belles.
Je l'ai vu de l'office enlèver le paquet,
Il est venu m'offrir les restes du fromage.
« Prends, m'a-t-il dit, il a bon goût. »
Mais j'ai refusé net. Pour un peu de laitage
Voudrais-je me damner ? Le drôle a gobé tout. »
A son tour appelé, le Perroquet s'avance,
Gros Monsieur, frais, nourri de lard et de science,
Et d'un moine ayant la rondeur ;
Qui parlait comme un livre et récitait par cœur,
Mais ennemi de l'abstinence.
Il vient d'un pas de sénateur,
Et fait une humble révérence.
L'affaire rapportée, il se rengorge et dit :
u Plût aux dieux immortels que l'on tordît la langue
A tout Singe, à tout Chat qui du prochain médit !
Ces messieurs tour à tour vous ont fait leur harangue
Et ne m'ont pas mis en crédit.
Mais ils vous ont caché, tant leur malice est sage,
Que chez les Perroquets nous tenons pour maudit
Ce qui vient de la vache, et n'en faisons usage,
De peur de nous gâter la voix.
Quant à ces petits saints qui n'ont ni Dieu ni lois,
Un fromage est pour eux une fort bonne proie :
Ils l'ont pris ; et de plus ont dîné de votre oie.
— Ah ! c'en est trop, reprit le maître furieux,
Sortez de ma maison, délogez de ces lieux,
Fripons dont la fourbe maudite
Ose invoquer les dieux, tout en prenant mon bien. »
En prononçant ces mots, il leur ferma son gîte.
Il fit, je crois, fort bien.
Rien n'est si dangereux qu'un dévot hypocrite.