Un vieux singe ridé, monstre de corps et d'âme,
Avait vu quelquefois, dans l'ombre des forêts,
Le Dieu d'amour lancer ses traits
Sur quelques jeunes cœurs rebelles à sa flamme.
L'animal veut avoir son tour.
Se flattant de tirer aussi droit que l'Amour,
Un jour que, sans soins, sans alarmes,
Cet enfant désarmé dormait nu sur des fleurs,
Le drôle, en tapinois, s'en va prendre les armes
Et tous les attributs de l'ennemi des cœurs :
Mais il n'en prit pas tous les charmes
Il entoure son front du céleste bandeau ;
Son dos noir est couvert de la trousse dorée.
D'une main il tient l'arc, de l'autre le flambeau
Semblable, à son avis, au fils de Cythérée,
Excepté qu'il se croit plus beau.
Le monstre, ainsi paré, fièrement se promène,
Comme un sot qui viendrait d'entrer en dignité.
Dans sa marche il arrive au bord d'une fontaine,
Et s'y mire avec volupté.
Est-ce moi ? disait-il ; je ne le crois qu'à peine,
Je n'avais pas encor si bien vu ma beauté ;
Je suis le dieu d'amour ; cet autre si vanté
Ne serait près de moi que le Dieu de la haine.
Il se plaindra du vol, mais on n'en croira rien,
En voyant à quel point tout ceci me va bien.
Puis il tourne ses pas vers un bois solitaire,
Et s'y met à l'affût comme aurait fait l'Amour,
Imitant son maintien, ses ruses, son mystère,
Comme lui craignant le grand jour.
Car le grand jour sert mal quiconque veut mal faire.
A peine est-il posté, qu'il voit à quelques pas
Venir une beauté comme l'on n'en voit guère,
Une beauté qu'ennuyaient ses appas.
Une beauté qui s'affligeait de plaire,
Et qui ne trouvait d'agrément
Qu'à faire une foule d'amants.
Tous les traits s'émoussaient contre ce cœur revêche.
Amour l'avait souvent guettée en cet endroit,
Mais en vain ; l'autre amour vous apprête une flèche,
Et la perce aussitôt d'un coup de maladroit :
Tant l'aveugle hasard souvent fait tirer droit !
Voilà notre belle enflammée
D'un feu qu'on ne connaît que quand on l'a senti,
Et qui, tout à la fois interdite et charmée.
Cherche des yeux la main d'où le trait est parti.
L'Amour depuis longtemps observait la méprise ;
Il en a ri d'abord, mais il s'indigne enfin.
Sur le masque insolent il s'élance soudain,
Et le dépouille aux yeux de l'amante surprise.
Qui, tirée à la fin d'erreur,
Dans l'un d'eux voit son maître, et dans l'autre un voleur.
Nymphes, défiez-vous d'une belle apparence,
En tout pays, et même en France.
Si j'ai pour lecteur un amant,
Il doit trouver encore un sens en cette fable :
Un amour imposteur peut séduire un moment,
Mais le cœur détrompé revient au véritable.