Sa majesté lionne
Voulant un jour de sa couronne
Connaître et voir les grands vassaux,
Les fit sommer par des hérauts
De lui venir prêter, suivant l'antique usage,
Le serment de fidélité
Avec l'hommage.
L'aveu-dénombrement était aussi porté
Au nombre des devoirs à rendre ;
Et d'un festin le tout devait être suivi.
Or festin de lion dit festin bien fourni ;
Ce dernier mot fit donc que, sans se faire attendre,
On vit de tous les points de ce vaste univers
Venir vers le tyran des bois et des déserts
Des plus fiers animaux l'élite formidable.
'Tout ce que les forêts ont de plus redoutable,
Tigres, éléphants, loups, hyènes, sangliers,
Ours et rhinocéros de leurs sombres foyers
Sortirent à la fois ; puis formant caravane
Accoururent en foule au palais du grand roi.
Même l'on vit aussi, qui l'aurait cru ? mais quoi ?
Un sot n'ose-t-il pas tout ? l'on vit, dis-je, l'âne
Follement irrité
D'être parmi la quadrupède espèce
Moins que pour rien compté,
S'arrogeant le titre d'altesse,
Sous le nom et la peau
Du cheval le plus beau
Oser venir aussi présenter son hommage.
Sous cette noble image
Tout à fait inconnu
Il ne pouvait qu'être reçu.
Mais, après la cérémonie,
Quand, dans la chaleur du festin,
Toute l'illustre compagnie
Fut ce que l'on appelle en train,
Dans cesheureux moments où le cœur pleindejoie
Se répand en chansons, en bons mots se déploie,
Quand, dis-je, le tour vint à messire baudet
De donner aussi son couplet,
Le pauvre diable eût bien voulu pouvair se taire.
Quelques façons qu'il fit,
Quelques détours qu'il prît,
Il lui fallut chanter, mais il ne put que braire.
Tout dès les premiers mots
De courroux transportés les convives royaux
De la grifse et des dents saisissent le faux sire.
De son brillant manteau
On le dépouille ; en maint et maint morceau
On le dépece, on le déchire :
Bref, du repas
Il devint un des meilleurs plats.
Indignes favoris de l'aveugle fortune,
En vain vous étalez à nos yeux vos trésors ;
Le plus pompeux dehors
N'ennoblit point l'ame commune.
Les sarcasmes et le mépris
Sont de votre sotte impudence
Tout à la fois le digne prix
Et l'ordinaire récompense.