L'Âne et les Chevaux Adolphe Durand (1784 - 1878)

Celui qui n'a pas de mérite en lui-même s'en fait de tout ce qui l'entoure, de ses habits de sa maison, de sa société. C'est, je crois, pour cet homme qu'a été faite la phrase normande : Il n'est pas sans quelque mérite.

Un maquignon conduisait un jour avec de beaux chevaux normands un maigre roussin d'Arcadie, qui, fier de se trouver en si bonne compagnie, tâchait de tenir la tête aussi élevée que. celle de ces magnifiques coursiers. Quelqu'un l'ayant aperçu, s'approcha, et lui dit : « Comment te trouves-tu là, petit baudet ? — Pourquoi cette question, répondit le coursier ci longues oreilles ? parce que nous ne sommes pas tout-à-fait aussi haut que ces chevaux, penses-tu que nous n'avons pas notre mérite ? Nous valons notre prix comme eux ; et le maquignon l'a bien compris, quand il nous a fait marcher. de pair. — Que répondre à un discours aussi sot ? Cette personne se tut, et attendit. Le lendemain elle rencontra le baudet, chargé d'un énorme sac, et suivi d'un enfant, qui le pressait à coups de gaulé à gagner le moulin. Honteux de sa nouvelle position, il détournait la tête pour ne pas voir celui qui l'avait rencontré la veille en si haute compagnie ; mais celui-ci l'arrêta, et lui rappelant le discours de la veille, il lui demanda ironiquement comment il ne se trouvait plus avec ses compagnons. - L'âne baissant la tête, ne répondit pas et s'achemina vers le moulin.