L'Âne et le Ruisseau Jean-Louis-Marie Guillemeau (1766 - 1852)

Un âne, se trouvant sur le bord d'un ruisseau,
Aperçut des chardons placés sur l'autre rive ;
11 eût, pour les manger, fait quelque tentative,
Bien que ce mets, pour lui, ne fût pas très nouveau ;
Mais le poltron n'osa se confier à l'eau.
Ce ruisseau cependant n'était pas très-rapide :
Les flots roulaient tranquillement,
Et l'onde brillante et limpide
Laissait apercevoir un sable étincelant.
Sans doute le roussin craignit certainement
Que si, par aventure, il tentait le passage,
Et s'il plaçait son pied dans l'onde imprudemment,
Il ne lui survint à l'instant
Tous les maux que l'on peut éprouver en voyage.
Il donna donc aux eaux le temps de s'écouler,
Comptant après d'un saut atteindre le rivage,
Et pouvair à son gré librement étaler
Cet appétit brillant, si fort à son usage ;
Il attendit, et même si longtemps
Que ses forces l'abandonnèrent,
Et de ses membres languissans
Insensiblement s'éloignèrent.
Alors, mourant de faim, franchement il voulut
Atteindre l'autre bord, et gagner de vitesse ;
Mais il perdit son temps : la vase et sa faiblesse
Ne lui permirent pas d'arriver jusqu'au but.

User de l'à-propos, est le point nécessaire
Pour qui de réussir a quelqu'ambition :
En différant ce qu'on peut faire,
On perd souvent l'occasion.

Livre VI, fable 14




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