Nous avons vu dans La Fontaine
Qu'un des plus madrés charlatans
Qui jamais se soient mis en scène,
Se fit fort, au bout de dix ans,
De mettre un âne sur les bancs.
Nous avons vu la prudente réponse
Qu'il fit à certain courtisan
Lui donnant une sotte et pédante semonce,
Or, ce jeune seigneur, avant la fin de l'an,
Par curiosité, pour s'amuser, peut-être
Pour juger des progrès du maître Aliboron,
S'en vint voir le docteur, son maître.
Celui-ci reconnut son bailleur de leçon.
Après force saluts, de respects et d'hommage ;
Monseigneur vient, dit-il, je gage,
Pour voir notre âne. Monseigneur,
- J'ai là, ma foi, pris un bien rude ouvrage ;
Mais j'en viendrai, j'espère, à mon honneur ;
Car, il faut m'éviter l'outrage
D'être traité comme un voleur.
Non, je n'ai vu jamais âne plus bête,
Presqu'aussi dure il a la tête
Que tel courtisan a le cœur.
Si monseigneur permet... dans la prairie
Nous allons.... Tous les deux s'en vont de compagnie.
À travers l'herbe et touffue et fleurie
Aliboron y prenait ses ébats,
Comme au moins de cinq ans il ne m'entendra pas,
Dit l'homme, c'est à moi d'apprendre son langage :
D'interpréter les sons j'ai plus que lui l'usage,
Vous allez voir. Soudain de son grison
Il se met à gratter et l'une et l'autre oreille.
Bientôt notre animal lui répond à merveille,
En lui parlant à sa façon.
Affectant un courroux que perce le sourire,
Ah ! malheureux, qu'oses-tu dire !
Dit le docteur ; allons, Martin bâton !...
Là, dit le courtisan, un peu plus de raison ;
Il vous faut de la patience :
Que dit-il ! — Ce qu'il dit ! A travers son hi-han
J'ai saisi mainte impertinence.
— Quoi donc ? — Il dit, monsieur le courtisan,
En le toisant d'un air plein de jactance,
Qu'en la vie on se doit chacun de l'indulgence ;
Qu'entre un flatteur de prince et certain charlatan,
Il est plus d'une ressemblance ;
Que le plus digne enfin de la potence
N'est pas... se retournant, qu'as-tu dit, malotru !
Mais, sans trop demander son reste,
Sur certain pied français et leste
Le courtisan a disparu.