Le Républicain et le Courtisan (Le Chêne et le Roseau) Eugène Desmares (1806 - 1839)

Un citoyen disait au Courtisan d'un roi :
Vous avez bien sujet d'accuser la nature ;
On sait qu'un roitelet est un fardeau pour moi ;
Mais le souci qui d'aventure
Fait rider la face du Roi,
Vous force à froncer le visage ;
Cependant que mon front, d'un feutre se couvrant,
Non content d'insulter aux regards d'un tyran,
Brave les lois du bel usage.
Tout vous est vasselage, et tout m'est liberté.
Encor, si vous veniez me demander asile ;
Des droits libres de la cité
Vous pourriez jouir, c'est facile ;
Mais vous cherchez le superflu,
Et vous aimez la cour d'un monarque absolu.
La nature envers vous me semble bien inique.
Votre compassion, le Courtisan réplique,
Part d'un bon naturel, mais quittez ce souci ;
Les rois me sont moins qu'à vous redoutables ;
Je plie et ne romps pas. Vous avez jusqu'ici
A leurs efforts épouvantables
Opposé le plus froid dédain ;
Mais voyons jusqu'au bout. Il a dit, et soudain
Du fond de la Pologne accourt avec furie
Le plus terrible des enfants
Que le Nord eût porté jusque-là dans ses flancs.
Républicain tient bon, Courtisan plie.
Sur eux s'abat l'autocrate pervers ;
Il fait si bien, qu'à la fin il renverse
Celui qui tient l'espoir dont le monde se berce,
Et dont les lois auraient affranchi l'univers.

Livre I, Fable 22




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