Le Courtisan et le Songe Claude-Joseph Dorat (1734 - 1780)

Un Courtisan, (je parle d'autrefois,)
Soupant, chassant avec son maître,
Aspirait à tous les emplois,
Et fut ambitieux autant qu'il pouvait l'être.
Après un bal, il s'endormit,
Et rêva, qu'à travers les vapeurs les plus sombres,
Il s'en allait courant après des ombres ;
Ce songe-là ne manquait pas d'esprit.
Vives, brillantes et légères,
Elles venaient voltiger sous sa main,
L'environnaient de lueurs mensongères,
Se laissaient approcher et s'enfuyaient soudain :
L'ardent rêveur, s'enflammant pour chacune,
Toutes les poursuivit et n'en saisit pas une.

IL s'éveille, il s'habille et va vite à la Cour.
Tout a déjà changé de face.
Il sollicite, il demande une place
Qu'un autre obtient, avant la fin du jour.
Il était possesseur, la veille,
D'une maîtresse, objet de tous les vœux :
L'amour, dit-il, me reste, il console à merveille ;
Et, pendant qu'il le dit, son rival est heureux.

Maltraité par la Cour, il retourne à la ville.
Ayant placé des fonds sur des vaisseaux,
Il se livre à l'espoir, hélas ! trop inutile ;
L'or flottant de mon homme a péri sous les eaux.
Ne trouvant partout que mensonge,
Chagrins, prestiges et tourment,
Il se rappelle enfin le songe
Qu'il fit autrefois en dormant.
J'en explique tout le mystère
Par lui, s'écria-t-il, le destin m'a parlé ;
Je ne dors point, la chose est claire ;
Mais je rêve tout éveillé.

Livre I, fable 17




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