Les trois Pommes Claude-Joseph Dorat (1734 - 1780)

A la plus belle ! on sait bien qu'autrefois
Cette devise arma trois Immortelles :
Le prix de la beauté fut disputé par elles ;
Pour les juger, de Pâris on fit choix.
Il avait les yeux du bel âge,
Les mœurs des champs, un cœur bien amoureux
Et la Nymphe, au léger corsage,
A ses regards éclipsait tous les Dieux.
Il était enivré, c'est être plus que sage.
Junon étale en vain son faste et sa grandeur ;
En vain Pallas fait briller son armure :
Mais d'un air ingénu détachant sa ceinture,
Venus sourit, ce sourire est vainqueur.

FIER d'avoir jugé trois Déesses,
Paris bientôt laisse égarer ses vœux :
L'amour et ses molles tendresses
N'enchaînent plus son cœur audacieux ;
L'ingrat néglige ses maîtresses,
Pour la Palme du Cirque et de plus nobles jeux.
Priam le reconnaît ; adieu la Bergerie.
Près du Trône on respire un air empoisonneur.
Le courtisan a gâté le pasteur :
Dans sa brillante rêverie
Il embrasse un fantôme et renonce au bonheur.
Son jugement alors revient en sa mémoire.
Vénus, dit-il, m'a d'abord ébloui ;
Mais Junon peut m'ouvrir les sentiers de la gloire ;
Junon est la plus belle et l'emporte aujourd'hui.

SEMBLABLE à la première une pomme est construite,
Présent intéressé d'un cœur ambitieux :
Même devise à l'entour est écrite ;
Puis on l'adresse à la Reine des Cieux.
Hélène est enlevée et la guerre s'allume.
Le Siamois roule des flots de sang ;
Les vieux jours de Priam coulent dans l'amertume ;
Cassandre est outragée, au mépris de son rang ;
Sa ville enfin succombe et le feu la consume.
Sur des monceaux encor fumants,
Paris blessé se dérobe au carnage,
A travers les embrasements,
Et se fait transporter sous le même bocage
Qui vit fleurir ses premiers ans.
Instruit par le malheur, éclairé par le tems,
Il abjura les vains amusements
Qui berçaient son enfance et troublaient son jeune âge :
Il détesta l'ambition,
Son tumulte insensé, ses plaisirs infidèles,
Et tous ces faux honneurs, qu'emportaient avec elles
Les étincelles d'Ilion.
Vénus est sans attraits pour un cœur sans ivresse ;
Junon le touche moins encor,
Et, s'il dispose un jour, d'une autre pomme d'or,
Elle sera pour la sagesse.

Livre I, fable 16




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