Le Renard et les jeunes Lapins Claude-Joseph Dorat (1734 - 1780)

Blanchi dans les ruses de guerre,
Un Renard, Renard, s'il en fut,
Temporisant, pour atteindre son but,
Comme un zéphyr rasant la terre
Et toujours méditant l'escalade ou l'affut ;
Bref, le * Sinon de tout le voisinage,
Ayant fait, une nuit, le sac d'un poulailler,
Vint, le matin, dans un champ s'égayer :
Tel, un héros, las du carnage,
Repose à l'ombre du laurier.
Par de fraîches vapeurs la terre est arrosée.
Maître Renard bercé parmi les fleurs,
De l'aurore sur lui sent distiller les pleurs,
Se roule et se blottit dans des flots de rosée.
Par intervalle il va sautant,
Il court après sa queue, avec elle il badine ;
En vrai tartuffe il compose sa mine,
Et le vieux coquin fait l'enfant.
Deux Lapins sans expérience,
De leur côté, dans le pré s'amusaient
Trottinaient, broutaient, se baisaient,
Sur leur derrière se posaient,
Et jouaient en toute innocence.
Ils aperçoivent le Renard
Avec son mouvant étendard.
On examine, on fait silence,
On dresse l'oreille, on balance,
On tient conseil pour fuir ; mais le rusé Cafard
A l'air si doux, si bénin, si tranquille,
Qu'ignorant les pièges de l'art,
Ces étourdis restent dans leur asyle :
Aux Lapins, comme à nous la raison vient trop tard.

Ils font plus ; l'un d'eux se hasarde :
Vois-tu, dit-il, ses yeux caressants et sereins ?
Comme il est tendre alors qu'il nous regarde !
Il a l'air d'aimer les Lapins :
Que craignons-nous ? Bientôt leur effroi cesse ;
On avance un pas et puis deux,
Et, guettant le moment, l'animal cauteleux
A chaque pas qu'ils font, redouble de tendresse.
Bien confiants et bien joyeux,
Les voilà près de lui, voilà qu'il les caresse,
Qu'il les réjouit de son mieux ;
Et nos Jeannots sont vraiment dans l'ivresse ;
Ils trouvent un ami, leur sort est trop heureux.

UN vieux Lièvre passait ; Dieu sait s'il allait vite :
Fuyez, leur dit-il, en courant,
Fuyez, ou gare le Cocite.
L'avis est inutile, autant qu'il est prudent.
Les deux Infortunés veulent en vain le suivre :
Le Renard les happe, à l'instant,
Et vous les croque, au frais, pour leur apprendre à vivre.

Vous, admis dans le monde à la fleur de vos ans,
Vous êtes entourés de gens instruits à feindre ;
Et rien pour vous n'est plus à craindre,
Que l'air affable des méchants.

Livre I, fable 19


Sinon est le nom du traître qui livra Troye aux Grecs.

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