Qu'un Courtisan ait la mésaventure
D'être mis à la porte, il s'en va d'aventure
À la campagne abriter son chagrin ;
Puis s'occupe à soigner sa maison, son jardin,
Tout se ressent de sa riche opulence,
Lui pourtant de bâtir nouveaux plans de finance,
Car toujours il nourrit l'espoir
De rattraper bientôt sa place et le pouvair ;
Comme au fils de Philippe il paraissait étrange
D'être réduit à rien, il lui démange
D'obtenir à nouveau royaume à ruiner.
Un de ces courtisans déchus de leur puissance,
Se promenait pensif cherchant à combiner
Le moyen de former une sourde alliance
Qui put le faire encore à la cour dominer ;
Il se trouvait près d'une plage,
Soudain les flots en cercle effleurent le rivage,
Surgit Protée-" Eh bien ! " lui dit le Dieu,
"Que faisons-nous, solitaire en ce lieu ?
Venez-vous de la cour ? On voit dans votre mine
Un quelque chose qui de loin sent la doctrine ? ”
Il convint franchement qu'il était dégommé,
Et que ses chers amis l'avaient su faire au même.
"Sachez," lui dit le Dieu, " que par adresse extrême,
Je puis changer de forme à point nommé,
On m'a dit cependant qu'à la cour on m'imite
Qu'on se permet de lutter avec moi ?"
Protée a dit, et soudain quitte
Pour mailles de serpent ses habits de Dieu- Roi.
"C
Quoiqu'orgueilleux alors qu'ils sont en place,
Sachez," dit l'homme, " que toujours les Courtisans
Des reptiles sont de la race.
Ils traînent comme vous leurs anneaux en rubans,
Se chauffent au soleil, évitant la tempête,
Sifflent tout comme vous, changent d'habits souvent ;
Bien que nés sur la paille osent lever la tête,
Tournant comme souffle le vent."
En Lion, tout-à- coup, voilà que le Dieu change ;
Puis c'est un Loup-cervier, aux regards effrayants ;
Puis en Lynx, en Renard, en Ours il se rechange.
"Ces tours seraient pour moi merveilleux, surprenants,
Si de la cour je ne venais," dit l'homme ;
"Mais là chacun agit tout comme
Vous venez de le faire-On use à ce métier,
Entendons-nous, lorsque l'on est en place
En quête de gibier, le nez fin du Limier;
Amis et compagnons sont tous objets de chasse.
Tantôt Ours, et tantôt Renard
On vole par la force, on vole par l'adresse.
Un Roi de France a dit : ' Paris vaut une messe,'
Le Courtisan dit, lui : Le pouvair vaut la hart ;'
Pour happer le pouvair il sait mettre en pratique
L'instinct de chaque bête, et surtout sa rubrique. "
Il dit, se jette sur le Dieu,
Qui se débat en vain, -avec une courroie
Il le retient captif, et lui dit dans sa joie :
"Protée, en feras-tu l'aveu ?
Sur ton propre terrain je t'ai vaincu morbleu !
Ou la force, ou la ruse, ou l'astuce, ou l'audace,
Rien ne peut contre un Courtisan
Pour trouver tours de passe-passe,
Et le défaut de la cuirasse
Le mensonge est son talisman. ”