Le Roi et le Courtisan Etienne Catalan (1792 - 1868)

Un Roi peignait : qu'il peignait bien !
C'est ce que répétait le servile cortége
Des Courtisans : c'était le feu du Titien
Joint à la grâce de Corrége. -
Lâches adulateurs, vos discours enivrants
Ne sont qu'un poison lent, que l'avide Imposture
Distille chaque jour, par votre bouche impure,
Pour le malheur des Rois ! Le nôtre, homme de sens,
Savait bien qu'en penser ; et, dans ses passe-temps,
Cherchant quelque repos à ces devoirs du trône,
Qui nous semblent si doux, quand ils sont si pesants
Pour qui porte, un seul jour, dignement la couronne,
Bon prince, il eût été peu flatté du renom
De peintre habile.
Or, voici la leçon
Qu'imagina le Roi, pour punir la droiture
Du plus chaud, du moins vrai de tous ses Courtisans,
Valet au cœur pétri de limon et d'encens :
L'ayant, presque à dessein, peint en caricature ;
Un matin, au moment où tous ceux de sa Cour
Se trouvaient réunis : Duc, parlez sans détour,
Dit-il, n'est-ce point là ma meilleure figure ?
Messer du grand- lever sans doute, cette fois,
Eût mieux aimé se voir aux confins de la terre,
Dans quelque antre ignoré, qu'au palais de ses Rois,
En butte aux traits railleurs de maint et maint confrère,
Gens de peu de pitié ; mais, prétendre se taire
Eût été, sans appel, à l'instant décrété
Crime de Lèse-Majesté.
Force étant de louer, il exalte l'ouvrage :
Non, de Van-Dyck jamais le vigoureux pinceau
N'avait aux yeux offert un plus noble tableau ;
Bref, pour plaire au Monarque, il se fit cet outrage,
De convenir que tout l'art de Callot
De sa personne, hélas ! n'eût mieux fait un Magot ;
Et la Cour de rire sous cape.
Mais, tandis que chacun à qui mieux mieux le drape,
Tout bas, pourtant ; le Roi : Combien donc croyez-vous
Que vaille ce portrait ? - Sire, sans artifice,
Il vaut bien cent ducats... - Cent ducats ! Ah ! tout doux !
Réplique le Monarque, avec plus de malice
Que de colère ; il faut que votre amour pour nous
Vous aveugle, cher Duc ; nous sommes peu jaloux
D'abuser d'un amour qui vous rend si novice :
Adjugé pour cinquante !... Et courez tout d'abord
En verser le montant au profit de l'hospice.

Qui maudit, en partant, le Prince et son caprice ? —
Ordres de Roi, ce sont arrêts du sort...
Enfin, qui regretta sa faconde inutile,
Et sa louange, et son temps, et son or ?...
À la Cour on en rit encor ;
On en rit bien plus à la Ville !

S'il était beaucoup de ces Rois
Aimant la vérité, punissant le mensonge,
L'Âge d'or renaîtrait dans les Cours... Mais, j'y songe :
Ah ! l'Âge d'or et ses touchantes lois,
En pareils lieux non plus qu'ailleurs, je crois,
Ne furent jamais qu'un beau songe !

Livre IV, fable 5




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