Le Roi et le Page Etienne Catalan (1792 - 1868)

Enfant du vieux castel, Arthur, devenu Page,
Devait, le jour suivant, de son nouvel état,
Faire, auprès de son Roi, le noble apprentissage.
Quel heureux avenir ! De quel brillant éclat
Semble, aux yeux d'un enfant, se couronner la vie
Qui, du faste des Cours , dès l'aurore, embellie,
S'ouvre au sein des plaisirs, mais qu'attendent, souvent,
De si cuisants regrets ! Au Marmot, cependant,
Comme il tardait ce jour, dont le retour prospère
Allait orner son front d'une aigrette légère,
Et décorer son bras d'un beau nœud de rubans ;
Où son riche manteau flottant au gré des vents,
Où l'or et le satin, où toute sa parure,
Relevant à souhait ses grâces, sa tournure,
Aux Dames de la Cour ferait , en doux émoi,
Dire : Le voyez-vous ? c'est le Page du Roi ! ...

Pauvre Damoiselet ! durant la nuit entière,
Il n'avait fait, hélas ! que rêver au bonheur,
Rêver, dis-je, sans clore un instant la paupière :
L'Espoir est un si grand causeur !

Enfin, le jour paraît, et le Page s'apprête...
L'amant ou le guerrier, qui vole à sa conquête,
Jamais ne montra plus d'ardeur
Que n'en fit voir Arthur, quand il courut se rendre
Aux portes du palais... Ce jour- là, par malheur,
Le Monarque se fit attendre :
Il s'était couché tard ; il fallait réparer...
Vous peignez- vous, alors , la sourde impatience
De tous ces Courtisans, dont l'unique science
Est de venir, chaque jour, adorer
Le Dieu mortel, que, loin de sa présence,
On s'empresse à l'envi, souvent, de déchirer ?
Le plus chagrin de tous, pourtant, c'était le Page.
Or, vous savez que, de toute la nuit,
Il n'avait fermé l'œil ; mais, à cet heureux âge,
Comme on s'endort partout aussi bien qu'en son lit ,
Soit couché, soit assis, bref, en toute posture :
Le sommeil secondant les droits de la nature,
Arthur s'assoupissait, encor qu'il fût debout…..
On annonce le Roi !... Voilà que, tout à coup,
Assailli de la foule ainsi que d'une trombe,
Arthur, pressé, poussé, glisse , chancelle, et tombe :
Adieu ses beaux projets, du moins pour cette fois,
Car, pour comble de peine et de mésaventure,
L'Enfant n'en fut pas quitte à moins d'une foulure ;
Mais, qu'il était honteux !... De sa royale voix,
Le Prince, bon, humain, le calme , le rassure,
Et lui dit Puisses-tu, guéri de ta blessure,
Te rappeler, Ami, qu'on glisse en ce séjour,
Et qu'il ne faut jamais s'endormir à la Cour !

Livre V, fable 6




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