La Bourse et les trois Amis Antoine-Paulin Pihan (1810 - 1879)

J'avais, dit Ouâkédy, deux amis, dont l'un appartenait à la famille de Hàchcm ; et notre affection mutuelle était si vive, que nous ne faisions pour ainsi dire qu'une seule âme. À la fête du beïràm, une gêne extrême étant survenue dans mon ménage, ma femme me dit : « 0 mon maître ! quant à nous, nous pourrions bien supporter la misère et l'adversité; mais mon cœur est brisé de chagrin et de pitié relativement à nos enfants, qui voient ceux de nos parents et de nos connaissances déjà parés pour la fête et remplis de joie. Je crois qu'il ne serait pas mal d'aviser au moyen de leur acheter quelques vêtements. »

Ces paroles me parurent très justes, et sentant mon cœur subjugué par le récit do ma femme, je me mis à réfléchir ; puis j'écrivis à mon ami le Hàchémite, pour le prier de me secourir en m'envoyant ce dont il pourrait disposer.

Il me fit parvenir une bourse contenant mille dirhems ; mais elle ne demeura pas longtemps entre mes mains, car je reçus de mon autre ami une lettre dans laquelle il se plaignait d'une gène semblable à celle dont j'avais informé le Hâchémito. Je lui envoyai donc la bourse telle quelle, et me rendis ensuite à la mosquée, n'osant paraître devant ma femme. Toutefois, lorsque j'allai la trouver et qu'elle eut connaissance de mon action, elle ne m'en fit aucun reproche.

Sur ces entrefaites, le Hàchémite vint rapporter chez moi la bourse dont le cachet était intact, et il me dit : « Explique-moi donc ce que tu as fait de ce que je t'ai envoyé? » Je lui racontai franchement l'affaire, et il reprit : « Tu m'as demandé de te secourir, mais je te jure que je ne possédais alors rien autre chose que la bourse que je t'ai envoyée. Bientôt après, je me suis vu forcé d'écrire à notre ami pour qu'il m'aidât, s'il le pouvait.

Or, il est venu lui-même me remettre cette bourse encore scellée de mon cachet et que je te rapporte aujourd'hui. Comme il est évident que nous sommes tous trois dans le besoin et que nous n'avons plus que cette bourse, eh bien ! il faut nous la partager. »

Ouvrant aussitôt la bourse, le Hàchémite donna cent dirhems à ma femme et répartit le reste entre nous, savoir : trois cents dirhems pour moi, trois cents pour notre ami, et les trois cents derniers pour lui.

La nouvelle de cette aventure étant parvenue aux oreilles du khalise Almàmoûn, il me fit appeler et me questionna sur l'affaire, que je lui racontai dans tous ses détails. Ensuite, il envoya chercher mes deux amis, et fit donner à chacun de nous mille dinars, plus mille dinars pour ma femme.





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