Le Tyran et le Pèlerin Antoine-Paulin Pihan (1810 - 1879)

Dans les contrées du Maghreb vivait jadis un souverain injuste dans ses ordres, oppresseur de ses sujets et de ceux qui pénétraient dans ses Etats. Aucun étranger ne visitait son royaume, à cause de sa tyrannie ; et si quelqu'un venait à s'y introduire, le roi s'emparait des quatre cinquièmes de son bien et ne lui laissait absolument que le dernier cinquième. Or il arriva qu'un pèlerin, qui servait Dieu depuis son enfance, quitta le monde et ses avantages pour parcourir les déserts et les cités. Dans une de ses tournées, il vint un matin à la capitale de ce royaume, et, quand il en eut franchi la porte, les percepteurs de l'impôt l'aperçurent, le saisirent et le pressèrent de vives questions ; mais ils ne purent découvrir sur lui rien autre chose que ses vêtements, et les lui arrachèrent jusqu'au dernier, en l'accablant de coups. « Malheur à vous ! s'écria-t-il, votre conduite est infâme !

Je suis un pauvre pèlerin: ce vêtement ne peut vous être d'aucune utilité; rendez-le-moi, sinon je me plaindrai de vous au souverain. »

Ils lui dirent pour toute réponse : « C'est d'après sou ordre que nous t'avons ainsi traité; fais ce que tu voudras. » Le pèlerin dit en lui-même : « Je ne sais si ce qu'ils avancent est vrai ou faux ; mais j'irai moi-même trouver le roi et je verrai cette affaire. »

Il se dirigea donc vers le palais du roi, et, à son arrivée, voulut entrer ; mais les chambellans s'y opposèrent. Il se disputa avec eux ; puis ceux-ci le rassasièrent d'argent, et il se calma. « Je vais, dit-il, guetter le roi jusqu'à ce qu'il sorte de son palais, et je me plaindrai à sa majesté de mon état et de mon aventure. » Sur ces entrefaites, il entendit un des employés du palais s'écrier : « Voici le roi qui part pour la chasse ! » Le pèlerin, plein de joie, courut à sa rencontre, et, l'ayant vu sortir, se présenta à lui en disant : « 0 roi, je viens me plaindre à ta personne ; je suis un pauvre pèlerin, voué au service du Dieu très-haut, et j'attends de lui ma récompense

Chaque fois que j'entre dans une ville, je reçois de ses habitants des bienfaits et des aumônes ; ils me conduisent partout où je veux aller ; et, cependant, quand j'ai pénétré dans la tienne, et que j'espérais un accueil favorable, je me suis vu arrêté par tes gens, dépouillé de mes vêtements, roué de coups, et cela à la porte même de ton palais.

Aie donc pitié de mon état, ô roi ! et porte-moi secours. » L'injuste souverain lui répondit : « Et qui l'a indiqué cette ville dont ta qualité d'étranger te défend l'accès ? »

— « J'ai commis une faute, ajouta le pèlerin : mais je ne reviendrai plus ici : je désire seulement que tu me rendes mes habits, et que Dieu te garde ainsi que ta ville ! »

À cette réponse inconvenante, le roi répondit : « Nous t'avons arraché tes vêtements pour t'humilier ; mais, demain matin, je t'arracherai la vie ; » et il le fit emprisonner. Une fois entré dans la prison, le pèlerin commença à se repentir de n'avoir pas sauvé sa vie en abandonnant ses vêtements ; et quand vint la nuit, il adressa au Dieu très-haut cette prière :

« Seigneur, tu connais ma position vis- à-vis de ce roi pervers ; et moi, ton serviteur opprimé, je te supplie de me délivrer et de faire tomber sur lui ton châtiment ; car cet homme est l'oppresseur du pauvre, l'ennemi jaloux de l'étranger, et tu n'aimes pas ceux qui se conduisent ainsi ; tues le juge, le juste, le propice, le clairvoyant, et moi je suis l'humble, le malheureux.

Ils m'ont, sans aucun droit, dépouillé de mes vêtements ; et si ce roi m'a fait du tort, que ton châtiment fonde sur lui cette nuit même, fais-lui sentir ton supplice ; car ton arrêt est juste et ta gloire éternelle. Amen. »

Le geôlier entendit celte prière et le châtiment qu'elle appelait. A peine était-il minuit, que le feu prit au palais du roi, et que lui, les gens de sa maison et la ville entière périrent à la fois dans les flammes. Le geôlier reconnut que cet incendie n'avait eu lieu qu'à cause de la prière du pèlerin ; il mit donc ce dernier en liberté, et, se sauvant tous les deux, ils se rendirent dans une autre ville. Quant au roi, il fut dévoré par le feu, à cause de sa tyrannie et de son injustice, et fut perdu pour ce monde et pour l'autre.





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