La Bonne Femme et Denys le Tyran Etienne Catalan (1792 - 1868)

Dans un temple païen, certaine Bonne Femme
Disait à Jupiter, en l'invoquant tout haut :
Daigne, ô Père des Dieux, sans mesurer son lot,
Accorder force jours de ta meilleure trame,
Au Tyran dont la loi règne sur mon pays !
C'était Denys de Syracuse.
Le hasard, dans ce temple, avait conduit Denys ;
Il entend l'oraison, croit d'abord qu'il s'abuse,
Puis, à la Vieille, enfin, demande le pourquoi
De cet ardent amour, et de ce pieux zèle.
Seigneur, vous êtes, répond-elle,
Le troisième Tyran qu'en ce pays je voi.
Lors du premier, j'avais, ―pour moi, quelle fortune ! ---
Quatre vaches ; il m'en prit une.
Je voulus me venger, et je priai les Dieux
De briser un joug odieux,
Dont tout le poids déjà pesait sur ma patrie :
L'Olympe, en écoutant mes vœux,
Ne les voulut, hélas ! exaucer qu'en partie ;
Il frappa le Tyran, mais non la Tyrannie.
Le Sycophante mort, son fils lui succéda,
Et, du fils, il fallut payer la bienvenue :
D'une seconde vache on me déposséda.
J'allais m'appauvrissant ; mais, ma déconvenue
Redoubla ma fureur : aveugle que j'étais !
Mêmes vœux, et mêmes effets.
Vous devîntes, Denys, notre troisième maître ;
A votre avènement, vous l'ignorez peut- être,
De mes vaches, on me ravit
La troisième, oui bien, la troisième !...
Vivez, régnez longtemps, Seigneur : il n'est pas dit
Qu'un autre ne voulût avoir la quatrième.

Pauvre femme ! Elle avait, pour cette fois, raison.
Peuples, chez qui les Rois sont un mal nécessaire,
Acceptez votre sort, ou propice, ou contraire ;
Changer de Rois n'est pas toujours sûr, toujours bon :
Rome s'écrie « A bas Néron ! »
Et Rome, dans Galba, voit renaître Tibère !

Livre I, fable 16




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