C'était fête chez la Lionne :
Tous les notables Animaux
Feudataires de la couronne
Se coudoyaient dans les salons royaux.
On s'ennuyait, suivant l'usage ;
Les saluts et les compliments
S'échangeaient en noble langage ;
Chacun composait son visage
Pour étouffer ses bâillements.
La Souveraine, ainsi que le veut l'étiquette,
La première rentra dans son appartement,
Laissant chacun libre d'en faire autant.
L'Ane prit, le premier, la poudre d'escampette.
Lui parti) ce fut un concert
De quolibets sur sa personne :
Ce nigaud ! ce balourd ! cette tête bouffonne !
Comment Sa Majesté Lionne
Dans ses salons l'avait-elle souffert ?
L'Éléphant en riait encore dans sa trompe
Sur les marches de l'escalier ;
Pendant ce temps,, en grande pompe,
Les bons petits amis dépouillaient son dossier.
Ainsi chacun, de bonne sorte,
Dès qu'il avait le dos tourné,
Du haut en bas était déboulonné ;
A peine on attendait qu'il eût fermé la porte.
C'était fort mal, et — j'en rends grâce au ciel —
Chez les hommes jamais on ne voit rien de tel ;
Mais les bêtes n'ont pas autant de politesse.
Cependant il se faisait tard :
Sept animaux pleins de scélératesse,
Un Serpent, une Hyène, un Vautour, un Renard,
Un Crocodile, un Tigre, un Léopard,
Étaient restés les derniers face à face.
Aucun d'entre eux ne semblait disposé
A quitter le premier la place,
Sachant fort bien à quoi cela l'eût exposé.
Enfin le plus malins — on devine, je pense, —
Le Renard, se levant, leur dit : « Mes bons amis,
» À quoi bon cette défiance ?
Notre intérêt est de rester unis.
Nous ne dirons jamais les uns des autres
Autant de mal que nous en méritons ;
Ne nous mangeons donc pas entre nous,, et partons
Tous ensemble ! » Les bons apôtres,
N'ayant rien à se reprocher,
Bras dessus bras dessous s'en furent se coucher.
On voit, contre le mal lorsqu'il faut se défendre,
Les braves gens tirer chacun de son côté;
Les coquins, eux, savent s'entendre :
Leur force est notre lâcheté.