Un amateur avait dans son verger
Un cerisier de la plus belle espèce ;
Mais jamais à loisir il ne pouvait manger
De ses excellents fruits ; une bande traîtresse
De Moineaux sans délicatesse
Se chargeait de le vendanger.
Notre homme, enfin pris de colère,
Eut la pensée, un beau matin,
D'envoyer garnison dans son quadrilatère :
C'est ce que, dès l'abord, eût fait un plus malin.
Il mit donc un factionnaire.
C'était un grand gaillard à l'aspect truculent.
Orné d'un feutre et d'un panache ;
Une épaisse et noire moustache
Enchâssait son nez flamboyant ;
Un vieux manteau de serge verte
Flottait au vent sur ses grands bras,
Et sa houppelande entrouverte
Laissait voir ses longs tibias.
C'était un mannequin de superbe tournure.
Un vieux Pierrot avait, par aventure)
Vu, du bord de son trou, guinder l'épouvantail ;
Il connaissait déjà cet attirail, -
Ayant fait de fort longs voyages
Et maintes fois déposé ses hommages
Sur le front des Héros ou sur le nez des Dieux ;
Un mannequin pour lui n'était pas sérieux.
Vite il alla trouver les Moineaux) ses confrères :
« Fuyez, leur cria-t-il, un danger menaçant !
Dans ce jardin un terrible Géant
Apprête contre nous les balles meurtrières
De son Chassepot foudroyant ! »
Apercevant de loin la sentinelle
Des oisillons la ribambelle
Prit sa volée à fond de train)
Laissant l'autre tout seul et maître du terrain.
Il s'en donna d'une belle manière !
Et sans façons plantant sa crémaillère
Dans le ventre crevé du bonhomme de bois,
Il croqua la récolte entière
À la barbe du bon bourgeois.
Chers habitants de la machine ronde,
Tant que le monde sera monde
Vous trouverez certaines gens d'esprit
Disposés à mettre à profit
L'innocence des imbéciles ;
Il nest) soit dit sans détours inutilcs)
Que dupes et fripons dans la société :
Tâchons d'être du bon côté.