Les bons petits Camarades Stop (1825 - 1899)

Un Minet., un Lapin avec un petit Chien,
Dans le même logis élevés dès l'enfance,
Partageaient le pain quotidien
Et les douceurs de l'existence.
Le Ciel les avait tous les trois
Créés d'une blancheur sans tache,
Et quand ils allaient à la fois
Sur le gazon jouer à cache-cache,
Ils attiraient tous les regards ;
On admirait leur gentillesse extrême ;
On eût dit trois gouttes de crème
Sur un large plat d'épinards.
Le Lapin, assez froid — au moins de caractère —
Était l'enfant gâté de ses deux compagnons ;
Mais, bien que le comblant tous deux d'attentions,
Chacun l'aimait à sa manière.
Dans leurs débats et dans leurs jeux
Le Chien avait toujours le mauvais rôle ;
On lui sautait sur les épaules,
On le roulait à qui mieux mieux ;
Mangeait-on du poulet, on lui laissait les' pattes.
Toutes les missions ingrates
Étaient son lot ; lui se trouvait content
De se sacrifier pour ceux qu'il aimait tant.

Par sa souplesse et ses gambades
Le Chat savait fort à propos
Se retirer des bousculades,
Et pour un petit coup il en rendait deux gros.
Avec maître Lapin,, objet de sa tendresse,
Il partageait les morceaux les meilleurs,
Mais ne se privait pas de lui lâcher d'ailleurs
Un coup de grifse en façon de caresse.
Il ne se passait pas de jour
Qu'il ne jouât quelque bon tour
A qui des deux voulait le croire ;
Et lorsque l'autre se fâchait,,
Monsieur Minet riait, riait
A se décrocher la mâchoire.

Un matin que paisiblement
Ils circulaient dans leur petit domaine,
Le Chien de basse-cour, que malheureusement
On avait négligé de remettre à la chaîne,
Sur le Lapin se jeta brusquement ;
Brave, malgré sa petitesse,
Le petit Chien vole au secours
De son compagnon en détresse ;
Le pauvret paya de ses jours
Sa généreuse hardiesse,
Mais son compagnon fut sauvé.
Quant à monsieur le Chat, il avait dare-dare
Grimpé sur un arbre élevé
Dès le début de la bagarre,
Laissant les autres s'en tirer
Comme ils pourraient.
Hélas ! il est peu de Pylades !
Le monde est plein de fausses embrassades ;
Surveillons notre cœur, et sachons séparer
Les vrais amis des petits camarades.

Fable 53




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