Les trois Frères ou de l'Association Alexis Rousset (1799 - 1885)

Les fils d'un laboureur eurent en héritage
Un terrain arrosé de plusieurs filets d'eau.
Éviter tout procès leur sembla le plus sage :
Le terrain mesuré, chacun prit son morceau
Que baignait sa part d'eau limpide.
Nul d'entre eux n'ayant l'âme avide,
Ils restèrent amis : ces gens
Ne vivaient pas de notre temps.
On passa six mois de la sorte,
Mais sans tirer un grand profit
Du terrain, ni des eaux. Enfin, l'un des fils dit :
— Je crois, mes frères, qu'il importe
De prendre un parti promptement.
Puisque chacun de nous de son morceau de terre
Ou de son filet d'eau ne peut isolément
Tirer le parti nécessaire,
Rassemblons maintenant au profit de chacun
Travail, sol et produits, et vivant en commun,
Exploitons ù nous trois notre faible héritage :
Que tout pour tous soit notre adage. —
On le crut, et l'on fit fort bien.
Sans se préoccuper ni du tien ni du mien,
Trois dès-lors ne font qu'un ; leur première mesure
Fut de faire un canal où chaque filet d'eau
Vint se précipiter avec un doux murmure,
Pour former un large ruisseau.
À ce ruisseau limpide une pente est donnée.
Dans les dents d'un pignon une roue engrenée
Par la force de l'eau fit tourner un moulin,
Où de suite abonde le grain.
Un âne devint nécessaire.
Un âne ! eh quoi ! la belle affaire !
Il vivrait fort bien dans le pré
Mis par tous en communauté.
Un unique valet put les servir ensemble
Et leur aider encore au moulin quelquefois.
Faut-il plusieurs foyers pour trois
Qui n'en font qu'un ? Que vous en semble ?
Enfin, lorsqu'ils vivaient tristement, isolés.
A leur porte était la misère ;
Mais un beau jour chez eux tout s'anime et prospère.
Grâce à l'heureux contrat qui les a rassemblés.

Livre I, fable 7




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