Les deux Frères et la Fortune Léon-Pamphile Le May (1837 - 1918)

La fortune souvent vient pendant qu'on sommeille :
 C'est un de ces dictons
Qui tiennent un peu trop la paresse vermeille.
C'est possible après tout : elle marche à tâtons ;
 Mais il me semble plus sage
 De courir après
 Que de l'attendre au passage :
Elle ne passe pas, on le sait, toujours près.
Il est de fait aussi que souvent elle échappe

 À celui qui l'attrape :
 Elle est coquette, voyez-vous,
 Nous donne le vertige
 Et se moque de nous.

 Sur ce point en litige
 Deux frères différaient d'avis,
 Et les chemins par eux suivis
 Ne furent pas les mêmes.

Négligeant tous les stratagèmes,
L'un demeura dans sa maison,
Voyant avec indifférence
Naître et mourir chaque saison,
L'autre, toujours plein d'espérance,
Parcourut des bords étrangers.
Il vit des régions sauvages,
Il vit aussi les chauds rivages
Où fleurissent les orangers ;
Puis après ces lointaines courses
Il revint au pays natal.

 — Quelles sont tes ressources ?
Nous reviens-tu chargé du précieux métal,
 Lui demanda son frère.

 — Je ne possède guère,
 Reprit-il, soupirant ;
 Plusieurs fois, en courant
 Sur la route commune,
 J'ai saisi la fortune,
 Mais n'ai pu la tenir.

 — Moi je ne l'ai pas eue,
 Mais je l'ai vue
 Tout près d'ici venir.

Amis, si la fortuné est dissicile à prendre,
 Quand vous l'aurez gardez-la bien ;
Gardez-la, mais il faut cependant se comprendre,
Faites toujours la part de celui qui n'a rien.

Livre IV, fable 16




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