Le Castor et les Singes Alexis Rousset (1799 - 1885)

Ah ! combien critiquer est un rôle facile !
L'amour-propre y suffit. —Je ferais cent fois mieux
Que l'auteur maladroit de ce livre ennuyeux. —
– Fais-le donc. -Soit !.. demain.- Mais l'effort est stérile.

Certain castor, à sa façon,
S'était construit une maison
Bien fermée et de force à braver la tourmente.
Quoi de mieux ? chaumière ou palais.
Il y pouvait dormir en paix ;
C'était bien la chose importante.
La maison achevée, il quitta le pays
Et, pour huit jours, alla visiter ses amis.
Le castor loin, vint une bande
De singes. L'un d'eux, grand parleur,
Parcourut la maison et dit : — Je me demande
A quoi pensait le constructeur
De cet ouvrage abominable.
Vraiment, ça ne vaut pas le diable.
Point d'art, manque absolu de goût…
J'y cherche en vain un peu de style,
Je vois du labeur, et c'est tout.
N'y pouvait-on mêler l'agréable à l'utile ?—
Et chacun d'applaudir. Un autre singe dit :
— Franchement, n'est-ce pas dommage
Qu'on ait de la sorte enlaidi
Le plus ravissant paysage ?
Imaginez l'effet charmant
Que ferait sur ce vert rivage
Un véritable monument,
Quelque chose de poétique,
A fronton, avec un portique.
Et que vois-je à la place, une ignoble maison
Une abominable fabrique !
— Il se tut. Sans plus de raison,
Vingt singes aussitôt de dire
Que c'est un devoir de détruire
L'édifice malencontreux
Qui si fort offusque leurs yeux.
Bien vite on se met à l'ouvrage.
On brise, on démolit, on arrache, on fait rage.
Nos singes s'en donnaient encor.
Quand soudain revient le castor.
Il regarde… plus rien…un amas de décombres,
Et des singes, pareils à d'infernales ombres,
Qui triomphaient sur ces débris.
— Que faites-vous, ô mes amis ?
Quoi ï ma maison est renversée ! —
— Le beau malheur ! La rive en est débarrassée.
Votre maison gâtait l'aspect
D'un divin paysage, et, sauf votre respect,
Ce n'était qu'une taupinière,
Véritable outrage au bon goût,
Facile à refaire, après tout,
Mais que vous construirez de tout autre manière. —
— C'est à vous, messeigneurs, que j'en laisse le soin :
Celui qui démolit sans ordre ni besoin,
Doit au moins savoir reconstruire.
— La demande était juste, il y fallut souscrire:
Impossible de reculer.
Mille animaux de s'assembler
Près des démolisseurs, et chacun se prononce
Pour ou contre. Au début, tout va bien, tout annonce
De magnifiques résultats:
On prépare le sable, on entasse les pierres.
Mais bientôt, maçons et goujats
Se plaignent de manquer des outils nécessaires.
— Eh quoi ! vous manqueriez d'outils ?
Mais les miens, où donc étaient-ils ? —
— Pas un morceau de marbre ! Eh ! de grâce, que faire
Si l'on n'a qu'une ignoble pierre ? —
— Sauvez-vous par la forme ; on prouve son bon goût
A l'aide du dessin surtout.
Allez, la foule vous observe. —
Ce jour-là, par malheur, on n'était pas en verve.
— Attendez à demain. Oh ! demain, sans manquer,
Artistes et maçons se feront remarquer. —
Le lendemain nouvel obstacle :
Le bois manquait. La mousse était rare en ces lieux.
Puis il pleuvait sans cesse : on s'en prenait aux dieux
Et, dans son impuissance, on voyait un miracle…
La foule de siffler. Bonne fut la leçon.

Jamais démolisseur ne sut faire un maçon.

Livre I, fable 8




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