Le petit Chat et le Castor Joseph-Marie de Gérando (1772 - 1842)

Un jeune chat, de mine fort jolie,
Avait d'un jeune maître obtenu la faveur.
Caresses, lit mollet, jeux, cuisine choisie,
Rien ne manquait à son bonheur.
Minon sur une mouche exerçait son adresse,
En ronflant, satisfait, arrondissait son dos,
De son corps avec grâce étalait la souplesse,
Et d'éloges comblé se livrait au repos.
«Par ma foi, le destin, disait-il en lui-même,
«M'a dans ce monde bien traité. »
L'Épicure fourré goûtait le bien suprême,
De tout travail exempt, ivre de volupté.
L'excès de l'embonpoint, seul, néanmoins, l'obsède ;
On consulte la Faculté :
Un exercice doux est prescrit pour remède.
Quels soins n'exige pas cette chère santé !
Un jour donc qu'en sa compagnie
Se promenait son maître, écolier, jeune fou,
Voilà qu'au sein de la prairie,
S'égare en galvaudant notre imprudent matou.
L'étourdi plus à lui ne pense ;
Seigneur chat reste abandonné,
Mais il s'endort dans l'espérance
D'être au logis sans délai ramené.
A son réveil, dans tout le voisinage,
Il appelle en criant : Mihahou ! mihahou !
Nul ne répond ; il faut entreprendre un voyage ;
Aller... aller... il ne sait où.
A pied, le ventre creux, le cœur plein de déboire,
Il s'achemine lentement.
Pour comble de malheur, survient une nuit noire,
Et sa frayeur s'accroît à tout moment.
Mais voici qu'un orage éclate ;
La pluie inonde son manteau,
Dans la boue il trempe sa patte,
L'épine du chardon écorche son museau.
Ah ! quel usage faire, en détresse pareille,
Des talents variés qu'on admirait en lui ?
Hier sur un coussin il sautait à merveille ;
Dans les sillons il s'embourbe aujourd'hui.
Enfin du jour il revoit la lumière ;
L'espoir renaît dans son cœur agité.
Il aperçoit tout près de la rivière
Un petit logis habité,
Maisonnette propre et jolie,
Construite avec un art nouveau.
Au devant gentille prairie,
Sur la porte, gentil berceau.
Il s'en approche, avec la patte
Tout doucement il gratte :
Peut-être il est quelque ermite au dedans ?
Soudain paraît le maître de céans :
Gros, carré, museau court, de couleur un peu rousse,
D'un véritable ermite il a le vêtement.
Bonne santé, d'ailleurs, humeur joyeuse et douce,
En lui n'annoncent point un sombre pénitent.
« Permettriez- vous, Monsieur ? » dit Minon. < Entrez, mon cher, » répond l'autre fort poliment.
Pourrais-je aussi de quelque croûte
Régaler ma bien longue dent ?
- Le peu que je possède est à votre service.
Mangez, buvez, dormez, usez en liberté
Des droits sacrés de l'hospitalité.
Ermite généreux, que le ciel vous bénisse ! »
S'écrie en miaulant le chat ressuscité.
Minon d'un frais poisson fait excellente chère,
D'eau limpide se désaltère,
Puis il se roule sur le foin,
Il sèche son dos avec soin,
Avec sa grifse il se vergette,
Et fait toilette
Bien proprette.
Puis rôdant d'un pas lent, d'un regard curieux
Il observe tout à la ronde ;
Le luxe nulle part ne vient frapper ses yeux,
Partout le nécessaire abonde.
Lions enfin un peu la conversation :
« Monsieur, je suis charmé de votre connaissance.
Puis-je, sans indiscrétion,
De mon hôte savoir le rang et la naissance ?
Quel maître dirigea votre éducation ?
De cette maison de plaisance
On vous fit le cadeau ?... Quels sont les protecteurs
Qui vous ont préparé cette heureuse abondance ?
Comment êtes-vous seul ? Où sont vos serviteurs ?
Je suis seul en effet, et tout est mon ouvrage ;
Je m'appelle Castor, naquis sur ce rivage,
Lui répond l'ermite surpris.
- Cette maison, je l'ai bâtie ;
Ce poisson, dans le fleuve aujourd'hui je l'ai pris.
Mon serviteur est ma propre industrie,
Je vis du travail et je l'aime ;
Je sais dans mes besoins me suffire à moi- même :
Je ne fus point enfant gâté. »

Livre I, Fable 6




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