La Buse et les autres Oiseaux de Proie Pierre Laurent de Belloy (1727 - 1775)

Maints Faucons, Eperviers, Aigles d'humeur pillarde,
Ou jamais il n'en fut,
De leur vie heureuse et gaillarde
Faisaient trois parts : passaient l'une à l'affût,
L'autre à chasser dans les vastes domaines
De la terre et des airs ; et la dernière enfin
Chacun chez soi, dans leurs nids, sur leurs chênes,
A gruger leur butin.
Dame la Buse, oiseau mélancolique,
Criard et famélique,
Dont par hasard le roc était voisin
Ne lorgnait pas d'un œil de joie
Les Lièvres, les Poulets, les Canards, les Perdreaux,
Les Hérons et les Faisandeaux,
Qui tour-à-tour étaient leur proie.
Quelque voisins que soient gens de mêmes
Que dos à dos côte à côte on les lie,
Toujours il reste entre eux place à la jalousie.
Tous nos-célestes Braconniers
Etaient, dit-on, de vieux routiers ;
La Buse fort sotte au contraire :
N'était sa faute au moins, tel est le caractère
Que la Nature lui donna ;
On ne se peut servir que de l'esprit qu'on a. -
De Faisans volontiers elle se fût nourrie,
Mais pour en prendre, l'industrie
Et le courage lui manquait.
Sa vallée était la voirie ;
Ce contraste l'assassinait :
Séchant près des Faucons, (triste effet de l'Envie.)
Tout festin qui les engraissait,
La maigrissait.
Que faire ? Les voler ? N'était assez hardie;
À la pauvrette eût été hoc
Dé garnir à son tour le croc
De quelqu'un de la compagnie,
Partager avec eux devient tout son dessein.
Le coup n'est pas aisé, je le donne à plus fin
Qu'une Buse. La nôtre eut de l'esprit enfin.
Qui fit cette métamorphose
Ce fut l'intérêt et la faim :
Il n'est pas de meilleurs conseillers dans le monde,
D'une Buse, souvent ils font un Epervier.
Donc l'affamée, à table ronde
Un jour s'en alla convier
Tous ces Oiseaux, dont la troupe rapace,
Emblème de nos Partisans,
Gruge la faible Populace
Des Oiseau moins puissants :
Elle les prie, en tel bois qu'elle indique,
Le lendemain de s'assembler
Pour affaire importante à La chose publique,
Mais qui, pour le présent, ne peut se révéler.
Ce jour et cette nuit règnent l'incertitude,
Les alarmes, l'inquiétude,
Chez tous les Pirates de l'air.
Quelle est cette nouvelle importante, secrète,
Qu'annonce la Buse discrète ?
Tout le monde l'ignore, et chacun la prédit,
Chacun en parle, et ne fait ce qu'il dit :
On les eût pris pour ces vieux Politiques,
Du Luxembourg Habitants faméliques,
Qui, des Rois et du fort pénétrant les secrets,
Prophétisent toujours ce qu'on ne voit jamais.
Enfin, la sombre nuit fait place à la lumière;
On vole au rendez-vous, où soudain la Commère
Au synode pillard adresse ce discours :
Quel fruit vous revient-il de passer tous vos jours,
Isolés, et sans foins les uns envers les autres ?
Ah! si vouliez suivre les projets nôtres,
Vous feriez heureux dès demain !
Pour foi seul aujourd'hui chacun fait du butin ;
Vivez tous en commun: au lieu de Poule entière,
Vous n'en mangerez qu'une part,
Mais autant de Dindon, de Levreau, de Canard ;
Partant ferez exquise chère :
Par le plaisir de varier,
Tous vos repas feront banquets de Financier.
Des applaudissements soudain la voix confuse,
Des Pirates de l'air remplit le comité si
Et, quoique le projet vînt d'une sotte Buse,
Chacun y rencontrant sa propre utilité,
On admet de concert la commensalité.
Dès-lors un seul Faucon chasse pour ses confrères,
Et tous ses confrères pour lui ;
Le changement prévient les dégoûts ordinaires
Qu'engendrent les plats solitaires ;
L'entretien a banni l'ennui ;
Ce ne sont que festins, ce ne font que frairies ;
De trois ordres de mets les tables sont servies ;
Moutons d'abord, volaille après,
Enfin gibier, et le tout frais.
Mais retournons à l'inventrice
De ce commun service :
Traitée avec honneur, comme la Fondatrice,
Elle partageait les Faisans :
Mais son bonheur ne dura pas longtemps.
Car se nommant toujours la grande Institutrice,
Elle portait la griffe aux plus friands morceaux ;
Vantant ce nom à tout propos,
On lui devait des préférences,
Des respects et des révérences : Son odieuse ambition:
Voulut même à chacun fixer sa portion.
Enfin, son sot orgueil, plus que sa goinfrerie
Lassa toute la confrérie ;
Après l'avoir cent fois réprimandée en vain,
A coups de becs, l'imprudente carogne
Fut renvoyée à sa vieille charogne ;
Et la Fauconnerie alla toujours son train.

Un Sot peut quelquefois ouvrir un avis sage,
Dont le bien soit l'objet, et la raison l'appui :
Les gens sensés doivent en faire usage ;
Qui le refuserait serait plus sot que lui.
Telle est de ce récit l'instruction fertile :
Il nous apprend encor qu'on souffre un imbécile
Quand il n'est qu'inutile ;
Mais dès qu'il devient orgueilleux,
On s'en défait ; il serait dangereux.





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