L'Âne voulant se faire loup Etienne Catalan (1792 - 1868)

Que mon palais est las de chardons et de choux !
Disait un Ane, et que les coups,
Dont, sans pitié, m'accable un humoriste, un reître,
Me font haïr le joug de ce qu'on nomme un Maître !
J'aimerais mieux cent fois vivre parmi les loups...
Mais, pourquoi pas ? Je veux me faire loup moi-même ;
Oui, je veux dévorer ce brutal, ce méchant ;
C'est lui, c'est sa rigueur extrême,
Qui font à mon cerveau monter ce goût du sang :
Sa volonté soit faite, il sentira ma dent !...
Pour mieux y réussir, tâchons que maint confrère
Apprenne à l'instant mon dessein ;
J'ai hâte de les voir seconder ma colère ;
Courons donc que l'espoir de ce riche butin
Soit le prix de ma bienvenue !
Ah ! quand ma soif du sang leur sera bien connue,
Comme ces bons amis me vont tous accueillir !...
Je pars Ane, tyran,... Loup je vais revenir !...

Et Brutus de prendre sa route,
Jurant mort à César !...
Au beau milieu des bois,
Depuis longtemps, déjà, coûte que coûte,
Il trottait, s'excédait, se mettait aux abois,
Sans rencontrer de loup trace la plus légère :
Que je suis sot ! dit-il ; si j'imitais leur voix !...
Puis, de vouloir hurler ; mais, il ne fit que braire...

Ce bruit donnant l'éveil à ses futurs amis,
Les voilà qui, d'un bond, viennent en ennemis
Fondre sur le Baudet, et le mettre en cannelle ;
Et lui, près de franchir son heure solennelle,
S'écriait cette fois, mais trop tard : J'étais fou !……
Pour hurler, il faut être loup.

Livre IV, fable 6




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