J'ai lu, je crois, dans Gulistan
Qu'un dervis, réclamant une aumône légère
D'un des favoris du sultan,
Celui-ci, sans égard pour son humble prière,
Le refusa fort durement,
Poussant même l'emportement
Jusqu'à lui jeter une pierre.
Le religieux outragé
N'adresse au courtisan ni plainte, ni murmure :
« Le Ciel est juste, et je serai vengé
Tôt ou tard, » se dit-il, « d'une si lâche injure.
Homme dur et cruel ! de cette pierre un jour
Puissé-je t'atteindre à mon tour ! »
Il ramasse à ces mots le caillou qu'il emporte.
Six mois après, quelqu'un frappe à sa porte
Et dit : « Ce favori, ce seigneur envié,
Qui vous fit cette insulte, il est disgracié.
Venez le voir, là-bas, en ce moment il
Par ordre du sultan, sur un âne monté,
Par la plus vile populace
Cet orgueilleux est insulté. »
Notre dervis d'abord courut prendre sa pierre,
Vous devinez à quelle intention.
Mais ce mouvement de colère
Cédant bientôt à la réflexion,
Il la jeta dans la rivière.
« Allah peut le punir, dit-il ; à se venger,
L'homme, je le vois trop, ne doit jamais songer.
Tant que notre ennemi conserve la puissance,
C'est folie et témérité ;
Et, quand il est tombé, c'est une lâcheté
Que de penser encor à la vengeance. »
Gulistan ou Les roses est un ouvrage persan composé par le célèbre Saadi.