A la cour d’un Lion un Bouc fort en faveur,
Riche autant que puissant, en tous points grand seigneur,
A tous venant prodiguait les promesses,
Leur offrant son crédit, son logis, ses richesses
Et tout a tous en un mot se donnant.
Chacun le quittait, cœur content
Et bâtissant châteaux sur amitié si haute.
Un des nombreux clients de la sorte accueillis
Frappé fut de revers subits ;
Il accourt chez le Bouc et dépeint a son hôte
Sa disgrâce en termes navrants ;
Je viens à vous, dit-il, sûr de trouver ouverte
La bourse qu’aux jours moins méchants
De si bon cœur vous m’avez lors offerte.
Merci d'avoir compté sur mon parfait vouloir,
Répond messire Bouc en donnant l'accolade ;
» Vous me voyez, mon cher, au désespoir
» Et je m’en sens vraiment malade,
Mais un autre avant vous a mis ma bourse à sec. »
C’étaient la vrais propos de Grec
Que l'on prit à bon droit pour pure pasquinade.
Promettre, hélas! tenir ont toujours été deux.

Ce Bouc a dans le monde imitateurs nombreux;
On convie, on invite, on offre à tour de rôle
Sa table, son crédit, ses services, son bien;
Le tout n’est pas d’offrir, offrir ne coûte rien ;
Le tout est de tenir parole.

Livre VI, fable 5


Alger. 3 avril 1854.

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