Le Renard et le Bouc Barthélemy de Beauregard (1803 - ?)

Même quand on grisonne de vieillesse,
Une longue barbe au menton
N'est pas toujours un signe de sagesse.
C'est ce qu'un Bouc, ayant pour compagnon
Un vieux Renard à la fine narine,
Au museau fin, à l'oreille plus fine,
Comprit trop tard, quand, par la soif conduits,
Et glissant tous deux dans un puits,
Il resta seul au fond de la piscine,
En ayant fait sortir, en prêtant son échine,
Le Renard qui ne sut trouver que du poison
Pour adoucir l'ennui de sa position :
Sans la moindre pudeur, sans gratitude aucune,
Insultant à son infortune,
Il se moquait de sa simplicité,
De sa barbe et de sa stupidité.
Quelques heures plus tard, un passant secourable,
Attiré là par un bêlement lamentable,
Retirait le Bouc enchanté.
Le lendemain, comme il sautillait d'allégresse,
Ne songeant qu'à se dandiner,
En grignotant son déjeuner,
Il entend des cris de détresse.
En honnête animal, il accourt, il s'empresse,
Et que voit-il? le sieur Renard,
Le pied pris dans un traquenard.
« Compagnon, je suis bien coupable,
Dit celui-ci; je suis un misérable,
Mais, hélas! bien cruellement puni.
Hier, en te quittant, je n'avais pas fini
De t'accabler d'une stupide injure,
En me moquant de ta mésaventure,
Que je tombais dans ce piège maudit.
— C'est sûr, tu fis hier une action bien laide,
Lui dit le Bouc, un trait de vrai bandit.
Je veux bien te venir aide ;
Mais comment? on ne peut appeler au secours;
Tu t'es fait détester par de si vilains tours.,
Et contre toi frémit tant de colère !
Je ne connais pas cet engin ;
Si du moins j'avais une main,
Ou des crocs acérés ! Mais avec rien, que faire?
D'un serrurier on aurait bien besoin.
— J'y suis, dit le Renard; viens, couche-toi par terre.
Et mets ta corne comme un coin,
Dans le ressort qui me retient la patte,
Il faudra bien qu'il se dilate. »
Le ressort en effet céda,
Mais un grand bout de la corne y resta.
Le Renard dépêtré croit qu'il fait un beau rêve;
Le Bouc triomphant se relève;
Le premier, embrassant son sauveur écorné,
Lui dit : « Je suis sauvé ! c'est par ton obligeance ;
Ton trait par le temps fut borné ;
Mais ma reconnaissance
Pour ton charitable secours,
Ami, j'en jure par ta corne,
Sans fin, comme sans borne,
De ma carrière égalera le cours,
Et de mon cœur débordera toujours. »





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