Les Grenouilles qui demandent un roi Barthélemy de Beauregard (1803 - ?)

Il est un trait dans la chronique
Qui n'est pas dans la Fable, et n'est pas le plus beau,
C'est qu'en décapitant le bon roi Soliveau,
Les Grenouilles en république
Subirent l'horrible fléau
De la terreur jacobinique,
Et de leur sang rougirent l'eau.
C'est alors que survient la Grue,
Qui, sans la moindre retenue,
Les éreinte, les exténue,
Toujours en guerre avec tous ses voisins,
Souvent battant, très-peu battue,
Mais par le nombre enfin vaincue,
S'en va mourir sur des rochers lointains.
Un Soliveau de même race
Que le premier, mais plus malin,
Arrive pour prendre sa place,
Avec une charte à la main.
Goutteux et presque cul-de-jatte,
Il était bien le souverain
Qui mange, boit, veut qu'on le flatte,
Et, sans se donner l'embarras
D'un sceptre qui pèse à son bras,
Digère, règne, et ne gouverne pas;
Si bien que la gent grenouillère,
Reprenant son humeur guerrière,
Critiquait fort ces royales façons,
Et s'amusait par des chansons.
Elle est chanteuse et goguenarde,
Très coassante et très-bavarde.
Aussi, ce roi mis au tombeau,
Quand son frère, autre Soliveau,
De son côté tire un peu trop la charte.
Elle embrouille cette pancarte,
Prétend que le pacte est rompu,
Et fait si bien qu'il faut qu'il parte
Plus malheureux qu'il n'est venu.
Le sang rougit encor les ondes,
Et le bruit du combat fait frémir les deux mondes.
En souvenir de ces hauts faits,
On éleva sur les bords du marais
Une colonne à la mémoire
De ceux qu'avait couronnés la Victoire.
L'or y fait voir des noms qu'on ne lira jamais.
Porté sur le pavois révolutionnaire,
Un cousin, autre Soliveau,
Monta d'une façon peu fière
Sur un trône réduit à peu près au niveau
D'une chaise ou d'un escabeau.
Les Grenouilles, grosses bourgeoises,
Approchaient de Sa Majesté;
Mais leurs figures villageoises
Rehaussaient peu sa dignité.
On vit alors émeutes sur émeutes;
Les partis s'aboyaient comme d'ardentes meutes,
Et coassaient à qui mieux mieux.
Les Grenouilles, trouvant ce bruit délicieux,
Y prenaient un plaisir extrême.
La politique était, disait-on, pâle et blême.
Ayant des goûts peu belliqueux,
Le Soliveau resta fidèle à son système,
Si bien qu'en un moment suprême,
Arrivé par l'émeute, il s'en alla de même.
Dès lors, nul frein, plus de gouvernement.
La plèbe au dos rempli de crasse
Rêve de bouleversement,
Et la fange du fond, montant à la surface,
Épaissit et trouble les eaux.
Prête à se battre, on voit chaque Grenouille
Qui s'agite, va, vient, coasse; tout y grouille,
Et dans plus d'un marais le sang rougit les flots.

Après ces luttes fratricides,
Où le soleil revit les forfaits des Atrides,
Les Grenouilles, voulant une seconde fois
Se donner un chef de leur choix,
Se mirent à voter d'une manière immense;
Tout Grenouilleau donna sa voix !
L'universel entrain tenait de la démence.
Mais, depuis peu. voici que de nouveau
Le clabaudage recommence.
Le dernier Soliveau
Aimait trop peu la guerre ;
il est bien vrai qu'il ne la faisait guère;
Mais le nouvel élu la cherche et la fait trop;
La critique marche au galop,
Et chacun dit la sienne ;
D'où je Conclus que la gent batracienne,
Qui sans cesse remue et coasse à foison,
Est à peu près ingouvernable,
Et, toutefois, très-excusable,
N'ayant pas toujours sa raison,
Par l'effet d'une maladie
Qui fait perdre la tète et quelquefois la vie,
Et s'appelle d'un vilain nom :
La Révolution !



Sous prétexte de parler de paix, l'abbé de Beauregard ne fait que préparer la guerre et attiser les haines.

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