Les Grenouilles Alfred de Montvaillant (1826 - 1906)

Êtes-vous arrivé parfois sur l'étang vert
Dont le bord est toujours de grenouilles couvert ?
Le concert s'interrompt : les reinettes, joyeuses,
Ont soudain suspendu leurs voix harmonieuses.
Mais attendez un peu, regardez ce tableau :
Une grenouille sort son œil brillant sur l'eau,
Puis une autre, elle chante, et l'on voit à la ronde
Les reinettes sortir et se jouer sur l'onde.
Elles sautent bientôt hors du flot transparent,
Leur voix se multiplie et le concert reprend
Et, sous un gai soleil dont la splendeur les dore,
De leurs chants redoublés, monte le bruit sonore.

Ainsi, quand du Parnasse un nouvel inventeur
Inconnu de la foule, aborde la hauteur,
La critique se tait et longtemps se regarde.
Puis une voix hardie, à chanter, se hasarde,
Une autre suit bientôt, de moments en moments
Le crescendo se fait de gais croassements.

Muse au cœur virginal, alors que tu gazouilles,
Qu'elle est douce, la voix des sonores grenouilles !
Mais attendons encor, ne parle pas si haut :
N'as-tu pas entendu, quelque part, un crapaud ?